Musique à fond et moteur hurlant, le Black-Pearl se rapproche à toute vitesse de l’île de Sazan, à 18 kilomètres des côtes de l’Albanie. Mercredi 10 septembre, vers 11 heures, le bateau de deux étages déverse plusieurs dizaines de touristes, polonais pour la plupart, près d’une grue rouillée abandonnée dans un port hors d’usage. En dehors d’une poignée de soldats et de leur chien noir postés dans une minuscule base militaire, plus personne ne vit sur ces 5 kilomètres carrés à la végétation luxuriante. Au milieu des bunkers aux dômes de béton émergeant parmi les arbres, entre les immeubles d’habitation désaffectés ou autour des ruines de l’hôpital construit à la fin des années 1920, de nombreux panneaux alertent sur la présence de mines antipersonnel et d’explosifs.
Romaine avant notre ère, vénitienne au Moyen Age, grecque au XIXe siècle, italienne sous Mussolini, puis dans le giron de la République populaire d’Albanie, à la fin de la deuxième guerre mondiale, l’île, qui servait d’avant-poste stratégique pour le bloc de l’Est, a été quasiment laissée à l’abandon depuis la fin de l’URSS, en 1991.
Ces vestiges militaires ne semblent nullement intéresser les visiteurs du jour. Sac de plage dans une main, perche à selfies dans l’autre, ils rejoignent une crique à quelques dizaines de mètres du port. Pendant la petite heure d’escale accordée, Jenny Moon, 67 ans, se prélasse dans l’eau transparente envahie de vacanciers. Cette ancienne employée d’une compagnie aérienne originaire de Boise, dans l’Idaho, a prévu de s’installer dans le sud de l’Albanie pour fuir, dit-elle, « la montée du fascisme » et Donald Trump.