Quarante et un an après le meurtre du petit Grégory, sa grand-tante Jacqueline Jacob a été mise en examen pour « association de malfaiteurs criminelle » et laissée libre après avoir été une nouvelle fois entendue par la justice pendant plus d’une heure et demie d’interrogatoire, vendredi 24 octobre, d’après Me Stéphane Giuranna, un de ses avocats. Elle est soupçonnée d’être l’un des corbeaux – il y en aurait cinq selon une expertise – ayant menacé la famille de Grégory Villemin durant des années. Une accusation « lunaire », selon sa défense.
Jacqueline Jacob, 81 ans, dont l’époux Marcel est un frère de la grand-mère du petit garçon, est arrivée peu avant 10 heures à la cour d’appel de Dijon, chargée de l’enquête sur l’un des crimes non résolus les plus emblématiques de France. Entourée de ses avocats et de son mari, elle a gardé le silence, tout comme ses conseils, face à la nuée de caméramans et photographes qui l’accompagnait à pied jusqu’au palais de justice.
Déjà, en 2017, Jacqueline Jacob avait été poursuivie, cette fois pour « enlèvement et séquestration suivie de mort », et même emprisonnée durant quatre jours. Cette mise en examen avait cependant été annulée en mai 2018, mais pour un simple vice de forme, dans un énième couac de cette laborieuse enquête visant à élucider l’assassinat de Grégory Villemin, retrouvé noyé pieds et mains liés à l’âge de 4 ans, le 16 octobre 1984, dans une rivière des Vosges.
La famille Villemin avait reçu des dizaines de lettres et d’appels anonymes dans les années précédant la mort de Grégory. La réussite du père du petit garçon, Jean-Marie Villemin, vite devenu contremaître dans l’usine où il travaillait et vivant dans une « belle maison », suscitait les jalousies. Jacqueline Jacob, déléguée CGT, l’aurait traité de « chef de mes couilles » en 1982, selon des témoins. Les époux Marcel et Jacqueline Jacob ont nié toute haine.
Selon l’arrêt du 18 juin ordonnant l’interrogatoire de Jacqueline Jacob, et que l’Agence France-Presse (AFP) a pu consulter, des expertises graphologiques datant de 2017, puis stylométriques – qui s’attachent à l’orthographe et les tournures de phrases – de 2021 et 2023, lui attribuent trois courriers anonymes de 1983, dont celui du 4 mars qui menace directement les Villemin. « Je vous ferez votre peau [sic] », y était-il écrit.
La stylométrie soutient de plus « très fortement l’hypothèse » qu’elle a écrit la lettre du 16 octobre 1984 revendiquant le crime. « J’espère que tu mourras de chagrin le chef (…) Voilà ma vengeance. Pauvre con », disait le courrier. Elle serait également à l’origine de l’appel téléphonique anonyme de revendication passé le même jour. « Je pense avoir reconnu [sa voix] », avait déclaré son beau-frère, René Jacob, après avoir écouté l’enregistrement d’un des corbeaux devant les gendarmes le 2 août 2022.
Dès le début des investigations, les enquêteurs avaient mis en évidence la haine farouche entre les Jacob et les Villemin, faite de jalousies ancestrales. En 2017, lors de sa première mise en examen, Jacqueline Jacob avait proclamé sa « totale innocence ». Aujourd’hui, les arguments des juges enquêteurs sont tout aussi « surréalistes et lunaires », résume pour l’AFP Frédéric Berna, l’un de ses avocats, qui avait promis de contester toute mise en examen.
La défense de Jacqueline Jacob dénonce notamment des « pseudo-expertises en stylométrie », une méthode nouvelle dont la fiabilité doit encore être prouvée, et souligne que le procureur général de Dijon lui-même, Philippe Astruc, estime que les arguments à charge « ne suffisent pas à constituer des indices graves ou concordants » justifiant une mise en examen, même s’ils « interrogent légitimement sur la participation de Jacqueline Jacob à la réalisation de certains écrits et appels anonymes ».
M. Astruc a notamment souligné qu’une expertise de 1991 avait attribué la lettre de revendication du crime, non pas à Mme Jacob, mais à Bernard Laroche, cousin du père de Grégory qui avait été inculpé par la justice, puis tué par Jean-Marie Villemin.