Nimier aurait 100 ans. La belle affaire. Imagine-t-on Roger Nimier (1925-1962) à 100 ans ? Il en aurait peut-être été ravi, mais en nous, comme pour James Dean ou Jean-René Huguenin, raflés au volant à 24 et 26 ans, quelque chose résiste, bougonne, trop obnubilés que nous sommes par ce pylône de l’autoroute de l’Ouest qui, le 28 septembre 1962, a stoppé le compte-tour à 36 années (27 pour Sunsiaré de Larcône, qui l’accompagnait), pulvérisant son Aston Martin DB4 (rebaptisée « Gaston-Martin » en hommage à son généreux donateur, Gaston Gallimard) comme on froisse le journal de la veille. Grâce à « Quarto » (Œuvres. Romans, essais, critique, chroniques, 1 216 pages, 32 euros, en librairie le 30 octobre) et Marc Dambre, on va pouvoir s’offrir une lecture à volonté de ses œuvres comme on inventorie la cantine d’un poète-mort-au-front. Grâce à Folio on peut enfin relire Perfide (mars 1950), son deuxième roman – mais quand on meurt à 36 ans on n’a écrit que des premiers romans.
Colossale pochade hirsute et trépidante qui passe au mixeur les élites scolaires, sociales et parlementaires de la France des années 1950, il déroule la geste amorale et impécunieuse d’un quintette de galapiats, 70 ans à eux cinq, que l’on verra élire comme mentor et partenaire de poker un comte géorgien à la Jules Berry, parier au turf ou se débaucher en tremblant. On y jouira aussi d’une vision sismique, carnavalesque et tout à fait d’actualité de la vie parlementaire – se faufilent même dans le cortège Mme Melba, panthère rousse et femme du président du Conseil, et un professeur de collège dont le mystérieux assassinat est attribué au gang des chourineurs mais sans doute fomenté par Perfide, héros éponyme du roman. Tapage nocturne ou parade de masques, Perfide nous offre la IVe République mise en scène par Tex Avery. Beau comme une distribution des prix à Louis-le-Grand réglée par les Marx Brothers, Perfide ne peut être lu que debout, en chantant tout en se brossant les dents.