Il fallait l’audace et la force tranquille de François Ozon, 57 ans, pour oser porter à l’écran un livre aussi énigmatique et populaire que L’Etranger, d’Albert Camus, qui, depuis sa publication, en 1942, s’est imposé comme l’un des trois romans français les plus lus dans le monde. Un livre culte pour un film (en salle le 29 octobre) qui pourrait le devenir, le réalisateur de Sous le sable (2000) et de Huit femmes (2002) donnant au personnage opaque de Meursault – auquel il s’identifie – un magnétisme sidérant.
… Si mon père, qui était biologiste, n’avait pas possédé une caméra super-8 et réalisé pendant mon enfance une multitude de films de famille. Il filmait nos vacances, les étés en Bretagne, en Corse. Mais, surtout, il rapportait de ses voyages professionnels au bout du monde de petits films qui me subjuguaient. Les images de la planète n’étaient pas aussi accessibles qu’actuellement, et ce qu’on découvrait dans ses films était d’un exotisme fascinant. Celui sur l’Inde montrait une foule au bord du Gange, des gens nus – j’étais choqué – qui buvaient l’eau sacrée, se baignaient, se lavaient. Et puis, dans les villes, un brassage de gens de toutes sortes, somptueux, miséreux, estropiés. Tout cela éveillait des sensations et une curiosité avide. Ma cinéphilie est sans doute partie de là…
Ah oui ! L’ailleurs, le regard, le lien ainsi créé… Mon père nous parlait en projetant les films, expliquait le pourquoi des gestes, les traditions. Au fond, il faisait la voix off ; c’était déjà une forme de cinéma. Et puis j’adorais le rituel du super-8. D’abord l’attente. Mon père rentrait et nous mettait l’eau à la bouche en racontant un peu de ce qu’il avait vécu, puis il envoyait les bobines de trois minutes à développer chez Kodak. Il fallait patienter quinze jours avant le retour des films. Alors on sortait le projecteur, on s’installait dans le salon, on éteignait la lumière. Mon père entrait avec précaution, dans la fente du projo, la pellicule de 8 millimètres qu’on pouvait faire accélérer ou revenir en arrière. Le ronronnement du moteur concourait à l’ambiance. Il y a un vrai érotisme des films en super-8 !