Histoire d’une notion. En ce 6 septembre, des dizaines de jeunes hommes au look très étudié se pressent sur la pelouse du campus de l’université Yale (Connecticut). Tote bag à l’épaule, ongles vernis et thé matcha à la main, ils espèrent tous remporter le concours de meilleur performative male (« homme performatif »). La compétition a attiré ce jour-là un demi-millier d’étudiants, selon le Yale Daily News : rien d’étonnant, puisque ce terme se répand à toute allure sur les réseaux sociaux depuis l’été. Il désigne, toujours avec ironie, un nouvel archétype masculin, fier de son féminisme et de ses convictions progressistes. Noémie Marignier, maîtresse de conférences en sciences du langage à l’université Sorbonne-Nouvelle, précise que « la dénomination “performative male” est immédiatement critique : aucun homme ne se définit ainsi ».
La chercheuse rappelle qu’il y a deux manières de traduire et de comprendre le mot « performative » : « Il y a d’abord le sens de performance, qui désigne la mise en scène publique de soi, mais aussi celui de performativité, qui renvoie à la “théorie des actes de langage”. » D’abord formulée par le philosophe britannique John L. Austin (1911-1960), cette théorie selon laquelle « dire, c’est faire » a été appliquée au domaine du genre par la philosophe américaine Judith Butler. Le concept de performativité recouvre l’ensemble des discours, choix vestimentaires et gestes que chacun de nous effectue quotidiennement, souvent sans y penser, pour manifester son appartenance à une identité de genre. En somme, résume Noémie Marignier : « Le genre, ce n’est pas ce qu’on est, c’est ce qu’on fait. »