L’écrivain nigérian Wole Soyinka, premier auteur africain à recevoir, en 1986, le prix Nobel de littérature et très critique envers le président américain Donald Trump, a annoncé, mardi 28 octobre, que le consulat des Etats-Unis à Lagos avait annulé son visa. « Je tiens à assurer le consulat… que je suis très satisfait de l’annulation de mon visa », a déclaré le célèbre auteur et dramaturge, âgé de 91 ans, lors d’une conférence de presse.
Icône de la littérature africaine, il est également une grande figure d’opposition aux dictatures militaires au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique. Début 2025, il avait indiqué avoir été convoqué par le consulat américain pour un entretien dans le cadre d’un renouvellement de son visa. Il bénéficiait auparavant d’un statut de résident permanent aux Etats-Unis, même s’il avait détruit sa Green Card (« carte verte ») après la première élection de Donald Trump, en 2016.
Selon une lettre adressée à M. Soyinka par le consulat, consultée par l’Agence France-Presse (AFP), les responsables ont cité les règlements du département d’Etat permettant d’« annuler un visa de non-immigrant à tout moment, à sa discrétion ». En lisant la lettre à haute voix devant des journalistes à Lagos, la capitale économique du Nigeria, le Prix Nobel a déclaré que les responsables lui avaient demandé d’apporter son passeport au consulat afin que son visa puisse être annulé.
Il a plaisanté en disant que c’était une « lettre d’amour plutôt curieuse venant d’une ambassade », tout en conseillant à toute organisation espérant l’inviter aux Etats-Unis de « ne pas perdre leur temps ». « Je n’ai pas de visa. Je suis interdit d’entrée », a poursuivi le dramaturge, qui a enseigné et reçu des distinctions de grandes universités américaines, notamment Harvard et Cornell.
L’administration Trump a fait de l’annulation des visas un élément clé de sa lutte contre l’immigration, ciblant notamment les étudiants qui s’expriment sur les droits palestiniens. Sollicitée par l’AFP, l’ambassade des Etats-Unis à Abuja a indiqué qu’elle ne commentait pas les cas individuels, invoquant les règles de confidentialité.
Récemment, le Prix Nobel de littérature avait comparé Donald Trump à l’ex-dictateur ougandais Idi Amin Dada, « un homme de stature internationale, un homme d’Etat ». « Je pensais lui faire un compliment, a-t-il déclaré. Il se comporte comme un dictateur, il devrait en être fier. »
Surnommé le « boucher de l’Afrique », le général Idi Amin Dada, autoproclamé chef de l’Etat en 1971, a été renversé en 1979 après un règne sans partage marqué par une répression aveugle, la mort de 300 000 à 500 000 Ougandais et l’expulsion de toute la communauté indo-pakistanaise. Il a fui en Libye puis en Arabie saoudite, où il est mort en 2003.
M. Soyinka avait également critiqué les arrestations massives d’immigrants sans papiers aux Etats-Unis. « Quand nous voyons des gens être arrêtés dans la rue, des gens être emmenés et disparaître pendant un mois… des vieilles femmes, des enfants séparés. C’est vraiment ce qui me préoccupe », a-t-il insisté, mardi.
Interrogé sur la possibilité de retourner aux Etats-Unis, il a répondu : « Quel âge ai-je ? », laissant cependant la porte ouverte à une invitation, si les circonstances changeaient. « Je ne prendrai pas l’initiative moi-même car il n’y a rien que je cherche là-bas. Rien », a-t-il ajouté.
M. Soyinka est l’auteur d’une soixantaine de pièces, de poèmes, d’essais, d’études critiques, de récits autobiographiques – Aké, les années d’enfance (traduit en français par Belfond, 1984), Ibadan, les années pagaille (traduit en français par Actes Sud, 1997), etc. – ainsi que de trois romans – Les interprètes (traduit en français par Présence africaine, 2000), Une saison d’anomie (traduit en français par Belfond, 1987) et Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde (traduit en français par Seuil, 2023).
Il a incarné une génération d’écrivains noirs anglophones, comme le Nigérian Chinua Achebe, qui avaient pris, dès les années 1960, leurs distances avec le concept de « négritude », mouvement lancé par des francophones comme le Martiniquais Aimé Césaire ou le Sénégalais Léopold Sédar Senghor avant la seconde guerre mondiale. M. Soyinka préférait l’idée de « tigritude ».