Longtemps confinées aux bordures – ourlets de veste, sacoches aux accents babas, rideaux de salon –, les franges prennent, cet automne, une nouvelle dimension. Cuir effilé, fils métalliques, coton effrangé… Après des saisons de lignes droites et de coupes nettes, le vêtement trouve un nouvel élan. On aurait tort, cependant, de réduire le phénomène à une tendance remise au goût du jour.
Certes, les franges qui se balancent au gré des mouvements de celles qui les portent ont de quoi rappeler les pistes de danse des années 1970, les robes à paillettes et les corps en transe s’animant au son du disco. Mais la frange a changé de rythme : de simple ornement, elle est devenue langage. Charge à chaque créateur de se l’approprier.
Interprétée par Jil Sander, Burberry et Rick Owens, elle fait figure d’armure, recouvrant le corps pour mieux le protéger. Acne Studios et Sportmax l’imaginent (très) longue, se balançant au moindre coup de vent, quand Alaïa la fait tomber des hanches en cascade. Chez Dolce & Gabbana, elle frôle la peau avec une légèreté aérienne.
La frange réintroduit le geste. Alors que le vêtement est, de nos jours, souvent pensé pour être photographié puis décrypté, en 2D, sur écran, la frange impose un autre tempo. Si elle attire la lumière et capte le regard, elle exige surtout la présence du corps pour se déployer pleinement. C’est peut-être ce qui explique son retour sur les podiums comme sur les scènes de concert et les tapis rouges. De Beyoncé et sa tournée « Renaissance », riche en tenues miroitantes et silhouettes décorées de franges argentées, à Zendaya sur le tapis rouge des Green Carpet Fashion Awards 2024, glissée dans une robe vintage signée Roberto Cavalli, ce long fil textile accompagne les corps qui se meuvent. Incarnant au passage une énergie que chacun redécouvre avec délice.
On peut aussi voir dans ce retour une célébration du travail de la main. Tressage, effilage ou encore tissage redonnent au vêtement sa dimension sensible. La frange permet ainsi de renouer avec une certaine sensualité du toucher, et de jouer avec la matière.
Finalement, si elle fascine tant, c’est peut-être aussi parce qu’elle incarne une tension – symptomatique de notre époque – entre contrôle et abandon. Dans un monde où chacun est en quête de sens, elle agit comme un manifeste, plus ou moins silencieux selon la matière qui la compose. Pour mieux nous rappeler que la mode, elle, n’a jamais cessé de bouger.