Le nouvel impôt sur la fortune improductive a été approuvé, le 31 octobre, par une courte majorité (163 députés contre 150) en première lecture à l’Assemblée nationale. Cette réforme, dont le destin reste aussi incertain que le budget en discussion dans lequel elle s’inscrit, n’est qu’une nouvelle étape dans l’histoire de l’impôt sur la fortune. Cette dernière oscille depuis ses débuts entre vaudeville et révolution.
La première initiative remonte à 1914, lorsque Joseph Caillaux, alors ministre des finances et instigateur de l’impôt sur le revenu, s’apprête à le compléter par un impôt sur le capital. Mais quand sa seconde épouse, Henriette, tue le directeur du Figaro, Gaston Calmette, qui s’apprête à publier une correspondance intime du couple datant de l’époque où ils étaient chacun mariés à quelqu’un d’autre, le ministre est contraint à la démission. Le projet fiscal est abandonné.
En 1945 est créé un impôt exceptionnel, l’impôt de solidarité nationale, assis à la fois sur le capital et sur l’enrichissement. Il faut ensuite trente-six ans pour que l’impôt sur le patrimoine revienne dans l’actualité. En 1972, il figure parmi les propositions du programme commun de la gauche, avant d’être voté en 1981. Il s’agit alors pour le nouveau pouvoir de marquer sa volonté de lutter contre l’injustice fiscale et les inégalités de patrimoine. Cette mesure, aux yeux des gardiens de l’orthodoxie du socialisme, s’inscrit pleinement dans la lutte des classes : « C’est l’affirmation de la volonté de mettre fin aux privilèges de l’ancienne classe dirigeante », clame le socialiste André Laignel à l’Assemblée nationale, fustigeant « les privilèges jusqu’alors préservés des grands bourgeois ».
Que taxer ? Le « capital » ? Le « patrimoine » ? Le mot « fortune » apparaît comme plus évocateur, et l’on y adjoint même un superlatif : la nouvelle contribution s’appellera donc « impôt sur les grandes fortunes ». A l’époque, la grande fortune commence à 3 millions de francs (ce qui correspond, en pouvoir d’achat, à 1,3 million d’euros de 2025). La réforme est adoptée malgré la résistance de la droite, car la majorité présidentielle est alors écrasante (333 sièges sur 491). Mieux même, le gouvernement a décidé pour elle. Avant la séance, « le ministre du budget annonça aux députés socialistes, avec sa simplicité coutumière, que le texte était parfait [et] n’était pas amendable », rapporte Alain Tcheckay dans la revue Pouvoirs en novembre 1982.