« Face au RN règne une certaine apathie, qui s’épanouit sur une scène atomisée, où l’alternative peine à se dessiner »

C’est une petite musique entêtante : à quoi sert-il de lutter, le Rassemblement national (RN) aurait déjà gagné, il faut s’y préparer. Cette antienne est jouée dans plusieurs cercles, politiques et économiques notamment. C’est ce cadre dirigeant d’une grande entreprise à qui son patron demande : « Et toi, tu as des contacts au RN ? » Ou ces entreprises de lobbying qui fournissent des « ateliers RN » à la demande de leurs clients qui veulent comprendre son programme et anticiper certaines politiques publiques s’il accédait au pouvoir. Ou encore cette conversation lors d’un dîner du Siècle, le club de l’élite, entre un élu et un chef d’entreprise, persuadé que Jordan Bardella n’étant qu’une « coquille vide », il serait facile de « l’éduquer », le mettre sous emprise.

Comme si la victoire idéologique, culturelle et politique de l’extrême droite était déjà actée, chacun cherchait le moyen de se rassurer à bon compte et de commencer à s’adapter. Le président du RN, on le sait, multiplie les contacts dans les milieux d’affaires. Pour l’heure, la présidente de l’Association française des entreprises privées, Patricia Barbizet, n’a pas jugé opportun de le recevoir, comme le lobby des grands patrons l’a fait récemment avec les chefs de partis ouverts au compromis budgétaire. Recevoir le RN, c’est prendre le risque de le légitimer. Et d’alimenter la prophétie autoréalisatrice d’une victoire inéluctable, car « plus on y croit, plus c’est possible », s’inquiète le commissaire au Plan, Clément Beaune.

L’ancien ministre macroniste est frappé par ce lent glissement : « Pendant longtemps, les élites ont été dans le déni, considérant que l’extrême droite n’accéderait jamais au pouvoir en France. On est passé du déni à la résignation. Puis, de la résignation à la complaisance. » M. Beaune voit dans ce renoncement teinté de lâcheté un mélange de « trahison des clercs » (Julien Benda) et d’« étrange défaite » (Marc Bloch). Or, s’inquiète-t-il, « plus la période de complaisance est longue, plus la bascule se fait ».

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