Le concours de saut d’obstacles est l’épreuve favorite des télévisions du monde entier. Spectaculaire et facile à comprendre, même par les non-initiés – ça passe ou ça casse –, elle est choyée par les gros sponsors du monde équestre. Bref, financièrement, il y a énormément d’argent en jeu. Il va sans dire que la représentation doit donc plaire aux millions de spectateurs qui ont le nez collé à leur écran.
Bien sûr, la tension monte d’un cran lorsque la compétition est olympique et, justement, jeudi 1er août, les épreuves de jumping (saut d’obstacles) débutent dans le cadre merveilleux du parc du château de Versailles. « Bref, vous imaginez bien la pression qui pèse sur nos épaules », confie Grégory Bodo, 45 ans, et dont le métier est pour le moins original : il est chef de piste. Le monde anglo-saxon parle plutôt de course designer.
Ces deux appellations conviennent à ce Mosellan passionné de chevaux, mais on a le sentiment que l’homme, cavalier depuis l’âge de 7 ans, se vit plutôt comme un metteur en scène, à l’instar de Thomas Jolly, le concepteur adulé (ou détesté) de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris. Cette comparaison l’amuse, mais ne le dérange pas. Grégory Bodo et son compère espagnol Santiago Varela Ullastres, avec qui il travaille depuis des années, veulent transformer en décor de théâtre la piste sablonneuse de 110 mètres de long et de 75 mètres de large, où les concurrents internationaux vont évoluer pendant trois jours.
Ils disposent pour cela de quatorze obstacles plus ou moins hauts, plus ou moins larges (dont l’un est une rivière) pour raconter une belle aventure, et en cette année 2024, c’est celle de Paris, la ville hôte qui sera au cœur de l’arène équestre. Des monuments parisiens seront-ils évoqués ? « Oui, quelques-uns », répond l’expert, désigné officiellement (avec Santiago Varela) par la Fédération équestre internationale, dès décembre 2022.
Existera-t-il des symboles de l’histoire de France ? La royauté, par exemple, Versailles oblige ? Le professionnel reste évasif. Et on comprend pourquoi : aucun indice ne doit être dévoilé aux cavaliers, qui ne peuvent découvrir le tracé qu’au dernier moment. « C’est top secret », insiste Grégory Bodo. Les obstacles sont d’ailleurs restés enfermés jusqu’au petit matin du 1er août dans des semi-remorques cadenassés et garés dans un périmètre sécurisé. Pas question que l’un ou l’autre concurrent puisse jauger avant les autres des difficultés à venir.
Mais il est un point sur lequel ce spécialiste, à qui il a fallu douze longues années de formation pour acquérir son accréditation internationale, veut insister : jamais lui et son alter ego espagnol n’iront au-delà des limites physiques supportables pour un cheval. « Ces athlètes de haut niveau doivent évidemment combattre, tout comme le font leurs cavaliers, pour sortir vainqueurs de l’épreuve, mais il est hors de question de les mettre en péril en leur demandant des efforts trop violents », souligne-t-il. La distance entre les obstacles est ainsi millimétrée, la hauteur des barres vérifiée et revérifiée et les courbes du tracé adaptées pour ne pas être trop serrées.
Malgré tout, il faut aussi un peu ruser pour créer des fautes potentielles. Voilà pourquoi la couleur pastel a plutôt été choisie pour les barres, car « les chevaux préfèrent des couleurs contrastées, et certains vont donc mal évaluer le saut à effectuer ». En revanche, rien ne clignotera, rien ne sera fluorescent pour ne pas risquer le moindre incident. Et gâcher le spectacle.