« Ce qui me touche dans ce que Roland Barthes révèle de sa vie quotidienne : les conversations avec sa boulangère »

En tant que fervente lectrice de Roland Barthes, j’ai longtemps entretenu une forme de complexe. Ses textes les plus sérieux et théoriques avaient tendance à me tomber des mains quand la moindre de ses notations intimes (sa haine des géraniums), personnelles (son goût pour la salade) me plongeait dans des abîmes d’admiration et de réflexion.

Est-ce vraiment raisonnable, cet inventaire de midinette ? N’a-t-il pas un côté « ce que j’admire le plus, chez Claude François, c’est son électrocution » ?

Assumons. Et intéressons-nous à l’une des choses, entre mille, qui me touchent dans ce que l’écrivain révèle de sa vie quotidienne : les conversations qu’il peut avoir avec sa boulangère, ou la fille de cette dernière, à propos des conditions météorologiques du jour.

« Ce matin, la boulangère me dit : il fait encore beau ! mais chaud trop longtemps ! (Les gens d’ici trouvent toujours qu’il fait trop beau, trop chaud). J’ajoute : et la lumière est si belle ! » Rien de plus banal. C’est pourquoi la boulangère ne poursuit pas la conversation.

Barthes entend, lui, dans ce silence, une fin de non-recevoir : « Une fois de plus j’observe ce court-circuit du langage, dont les conversations les plus futiles sont l’occasion sûre ; je comprends que voir la lumière relève d’une sensibilité de classe ; ou plutôt, puisqu’il y a des lumières “pittoresques” qui sont certainement goûtées par la boulangère, ce qui est socialement marqué, c’est la vue “vague”, la vue sans contours, sans objet, sans figuration, la vue d’une transparence, la vue d’une non-vue (cette valeur infigurative qu’il y a dans la bonne peinture et qu’il n’y a pas dans la mauvaise). »

Ah… On peut aussi imaginer que la boulangère avait d’autres impératifs que l’infiguratif ou qu’elle devait s’adresser au client suivant. On peut même envisager qu’elle ait trouvé ce monsieur B. étrangement pensif après une conversation des plus convenues (avec les sémiologues, parler du temps, c’est toujours laborieux). Quand il s’agit de la fille de la boulangère, en revanche, il parle de tout autre chose : « Elle a fait des études, il n’y a pas lieu de parler du temps. »

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