Si Le Baron était un goût, ce serait celui de la boisson du même nom : un cocktail à base de champagne, de vodka, de fraises fraîches et de sucre de canne servi dans des verres à pied. Entre 2004 et 2016, sur la rive droite parisienne, il a été siroté à la paille (pour le supplément d’ivresse) par les branchés du monde entier. Si Le Baron était un son, ce serait celui du rock’n’roll et des pépites oubliées que dénichait l’armada de DJ résidents qui ont créé l’empreinte musicale du club.
Si Le Baron était une odeur, ce serait celle de la sueur, qui gouttait au petit matin des corps des danseurs sur le minuscule dancefloor, mélangée à celle des cigarettes qui se fumaient à l’intérieur dans un premier temps, jusqu’à la promulgation de la loi Evin, en 2006. Si Le Baron était une couleur, ce serait le pourpre du velours sale qui recouvrait les banquettes et le rouge des lumières qui nimbait ce lieu d’une aura de fête et de liberté.
Tous les soirs de la semaine, de 23 heures à 5, 6, parfois 7 heures du matin, les mondes de la musique, de l’art, du cinéma et de la littérature convergeaient vers le numéro 6 de l’avenue Marceau, à Paris. A deux pas de la Seine et à quelques minutes en aval du « triangle d’or » où s’étoilent, autour des Champs-Elysées, les clubs privés les plus clinquants de la capitale, Le Baron sortait du mur le soir et semblait disparaître au matin. Il n’en restait alors de visible que la devanture du magasin de surgelés Picard qui partageait son adresse.
Dissimulée, une fois le soleil levé, derrière d’anonymes portes en verre fumé, l’entrée du club était escamotable. Cela donnait à celles et ceux qui repassaient de jour devant le lieu où ils avaient dansé au coude-à-coude avec Kirsten Dunst, Sofia Coppola, Hedi Slimane ou Jean Dujardin l’impression d’avoir rêvé.
« Au Baron, un chômeur pouvait passer des heures à discuter avec un millionnaire du CAC 40 », rapporte l’un des « physios » emblématiques du lieu connu sous le nom de « Big John ». Il y a travaillé de 2005 à la fermeture. Plantée devant l’entrée surplombée d’un néon rose en forme de chapeau haut de forme dessiné par le graffeur et artiste André Saraiva, cofondateur du lieu, avec son ami Lionel Bensemoun, cette armoire à glace qui faisait alors 150 kilos pour 1,97 mètre « faisait la porte » avec Bak, un grand Noir très chic, autre visage phare de cette époque.
La « porte » – soit le choix de qui entre ou pas –, c’est là que s’est joué le succès et la renommée du Baron. Parce que le lieu était petit (« à cent quatre-vingts personnes, on était bien ; deux cents, c’était vraiment le max », se souvient Lionel Bensemoun) et l’entrée gratuite, la sélection était drastique. « C’était facile : dès que tu ne connaissais pas quelqu’un, c’était non », explique Big John.