Le tramway tue entre deux et huit personnes par an, selon certains experts. Comment les victimes sont-elles indemnisées ? Telle est la question que pose l’affaire suivante.
Le 4 novembre 2013, une étudiante, Mlle X, est percutée par une rame de tramway, place de la Victoire, à Bordeaux (Gironde). Elle meurt avant d’avoir pu être évacuée à l’hôpital.
Ses parents assignent l’opérateur de transport public qui exploite le tramway, Keolis, (dont les employés accusent les piétons de « ne plus faire attention » aux rames), et son assureur, Allianz IARD. Ils demandent à être indemnisés de leurs préjudices sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, dite « loi Badinter ». Cette loi a voulu améliorer l’indemnisation des victimes d’accidents de la route ne conduisant pas de voiture : piétons, cyclistes, enfants, personnes âgées.
Les deux sociétés contestent que la loi Badinter puisse s’appliquer, au motif que le tramway circulait sur « une voie propre » : l’article 1 de la loi exclut l’application de celle-ci aux victimes d’accidents de tramways « circulant sur des voies qui leur sont propres », c’est-à-dire exclusivement réservées à leur circulation.
Les deux sociétés soutiennent que seules les dispositions de l’article 1384 (ancien) du code civil, selon lesquelles « on est responsable… des choses que l’on a sous sa garde », s’appliquent ; et que le droit à indemnisation de la victime est limité par la « faute » d’inattention qu’elle a commise.
Le tribunal judiciaire de Bordeaux leur donne tort, le 7 avril 2021, et la cour d’appel de cette ville confirme son jugement, le 14 décembre 2023. Elle juge que l’accident a bien eu lieu à un endroit où le tramway ne circulait pas sur une voie qui lui était propre (celui-ci n’étant séparé des piétons « que par un trottoir légèrement surélevé, sans autres obstacles matériels tels que des plots ou des barrières »).
La cour d’appel de Bordeaux estime donc que le droit à indemnisation des parents, « victimes par ricochet », est entier. Ces derniers sollicitaient au départ l’indemnisation des souffrances exceptionnelles endurées par leur fille, à hauteur de 80 000 euros, et le préjudice d’angoisse de mort imminente subi par cette dernière, à hauteur de 45 000 euros.
Le tribunal a jugé que la jeune fille avait eu quelques minutes de conscience, après que son corps eut été écrasé par la rame de tête du tramway, et qu’elle avait ainsi « enduré des souffrances d’un niveau exceptionnel ». Il a estimé que « ce préjudice, qui incluait nécessairement l’angoisse ressentie devant le caractère imminent du décès », devait être réparé par « une seule et même somme, fixée à 80 000 euros ».