Cette fois, ils ont choisi en toute connaissance de cause. En 2016, lorsqu’ils lui ont confié la Maison Blanche pour la première fois, les électeurs américains ignoraient à quoi ressemblerait une présidence Donald Trump, et tentaient un saut dans l’inconnu. En 2024, la situation est différente : non seulement les électeurs républicains connaissent parfaitement leur candidat, jusque dans ses comportements les moins glorieux, mais il est plus radical encore qu’il y a huit ans. L’électorat de Donald Trump sait où ce président va les emmener, et en redemande.
C’est un constat qu’il faut examiner les yeux grands ouverts. La voie sur laquelle Donald Trump, renforcé pour ce deuxième mandat par le succès de son parti au Sénat, va engager son pays diverge fondamentalement du chemin dessiné par les Etats-Unis depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. C’est la fin d’un cycle américain, celui d’une superpuissance ouverte et engagée dans le monde, désireuse de s’ériger en modèle démocratique ? la fameuse « cité qui brille sur la colline » vantée par le président Ronald Reagan. Le modèle avait déjà été mis à mal au cours des deux dernières décennies. Le retour de Donald Trump enfonce un clou dans son cercueil.
Le monde selon Donald Trump est un monde qu’il regarde à travers le seul prisme des intérêts nationaux américains. Un monde de rapports de force et de guerres commerciales, qui méprise le multilatéralisme. Un monde où la diplomatie transactionnelle se substitue aux alliances fondées sur les valeurs. Un monde, enfin, où le président des Etats-Unis réserve ses mots les plus durs à ses alliés mais ménage les autocrates, considérés comme des partenaires plutôt que comme des adversaires.
Les Européens ont, à juste titre, un mauvais souvenir du premier mandat Trump. Le second sera plus périlleux encore, dans un contexte où la guerre fait rage sur leur continent, livrée par une puissance russe qui fait fi de toutes ses obligations internationales et déploie une agressivité croissante. Si, comme il en a agité la menace pendant la campagne, Donald Trump cesse l’aide militaire à l’Ukraine et négocie avec Vladimir Poutine une paix favorable à l’envahisseur, les conséquences d’un tel dénouement iront bien au-delà du sort de la seule Ukraine : elles porteront sur l’ensemble de la sécurité du continent.
Le risque de division, voire de fracture de l’Europe face à une telle perspective est réel. Ce danger est existentiel pour l’Union européenne ; ses dirigeants doivent en prendre conscience et se préparer à y faire face, sans attendre l’entrée en fonctions de Donald Trump ? ils n’ont que trop tardé.
La victoire de Donald Trump au terme d’une campagne d’une virulence populiste, misogyne et raciste sans précédent est aussi de mauvais augure pour les femmes, pour les immigrants et pour la démocratie en général. Le 47e président des Etats-Unis hérite d’un système qu’il a commencé à mettre en place lorsqu’il en était le 45e, un système dans lequel les sacro-saints « checks and balances », ces garde-fous censés préserver les institutions démocratiques américaines, sont déjà affaiblis, et où la Cour suprême lui est acquise. Il a réussi à banaliser l’assaut du Capitole par des émeutiers qu’il avait encouragés, le 6 janvier 2021. L’image d’un chef de l’exécutif de la première puissance mondiale qui qualifie ses opposants d’« ennemis de l’intérieur », en juge certaines dignes du peloton d’exécution, vilipende les médias dissidents et menace d’envoyer l’armée faire la chasse aux immigrés illégaux dans les villes démocrates ne peut en outre qu’encourager tous les dirigeants illibéraux de la planète, y compris en Europe.
Les électeurs de Donald Trump l’ont choisi en toute responsabilité, de même que les dirigeants du monde des affaires et du high-tech qui se sont ralliés à lui, emboîtant le pas à Elon Musk, le patron iconoclaste devenu éminence grise. Le reste du monde va le subir.