Après l’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal en Algérie, le chercheur en sciences politiques Nedjib Sidi Moussa a été invité à s’exprimer sur le plateau de l’émission télévisée « C Politique ». Il a alors tenu à condamner fermement cette arrestation, mais tout en critiquant les positions publiques de l’écrivain tenues depuis de nombreuses années, qui le situent, selon lui, dans une proximité idéologique avec l’extrême droite.
Le chercheur s’est retrouvé dans les jours qui ont suivi la cible d’attaques innombrables dans plusieurs médias et les réseaux sociaux. Dans une dérive ahurissante, certains n’ont pas hésité à l’accuser de travailler en sous-main pour l’Algérie, ou de complaisance islamiste, et ce dans des termes d’une violence inouïe.
Ces attaques ne sont pas venues d’une frange obscure d’un groupuscule extrémiste en mal de visibilité. Elles provenaient aussi de journalistes et de médias bien installés ou d’acteurs politiques de premier plan. Pourtant, les travaux de ce chercheur démontrent au contraire clairement son approche critique de l’islamisme et du pouvoir algérien, et donc le caractère infondé et insensé de ce déferlement haineux à son encontre.
Un tel épisode suscite un malaise prenant plusieurs visages. D’abord celui du sentiment de vivre une expérience personnelle du privilège blanc. Sans verser dans l’autoflagellation, ni dans l’essentialisation d’une condition, constatons sans détour ce qui est advenu. Participant à cette même émission, j’ai clairement condamné l’arrestation de Boualem Sansal par le pouvoir algérien que rien ne saurait justifier, en soulignant sans ambiguïté le caractère autoritaire actuel de ce pouvoir qui a multiplié les détentions iniques de prisonniers d’opinion depuis le mouvement du Hirak de 2019.
Mais, à partir de mes propres travaux de recherche, j’ai souhaité aussi indiquer la proximité de certains propos publics de l’écrivain – sur le déclin culturel de la France, l’histoire coloniale franco-algérienne ou l’islamisation de la société – avec le roman national d’extrême droite qui instrumentalise le passé national, notamment colonial, dans le cadre d’une bataille culturelle engagée depuis les années 2000. Or, malgré ma position également critique, un sort totalement différent a été réservé à Nedjib Sidi Moussa.
Ce traitement différencié ne peut qu’interpeller. Il rejoue des processus de racialisation et de violence à l’égard des colonisés, tels qu’on les a connus tout au long de l’histoire coloniale de notre pays. Et il s’inscrit dans un contexte où la parole raciste postcoloniale s’est libérée avec la perspective de victoire du Rassemblement national (RN) aux élections législatives. Ont été ciblés récemment par exemple les journalistes Karim Rissouli et Nassira El Moaddem, la responsable politique Najat Vallaud-Belkacem (attaquée sur sa binationalité franco-marocaine) ou encore l’artiste Aya Nakamura (à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris).