Ariane 6 : parée au décollage, la fusée n’a pas droit à l’erreur


 Ariane 6 : parée au décollage, la fusée n’a pas droit à l’erreur

« L’Europe va enfin reprendre pied dans l’espace, il est plus que temps », assure Serge Plattard, professeur au University College de Londres (UCL), spécialiste de politique, gouvernance et sécurité spatiale. Mardi 9 juillet, la nouvelle fusée européenne Ariane 6 doit voler pour la première fois, depuis la base spatiale de Kourou (Guyane). Le décollage, prévu entre 21 heures et 1 heure du matin, heure de Paris, est clé pour sortir l’Europe spatiale de sa crise.

Un vol inaugural très attendu, l’Europe étant privée d’accès direct à l’espace depuis le 5 juillet 2023, date du dernier vol d’Ariane 5, arrivée en bout de course. Depuis la guerre en Ukraine, l’Union des 27 ne peut en effet plus compter sur les fusées russes Soyouz. Quant aux fusées italiennes Vega-C, qui auraient pu prendre le relais, elles sont à l’arrêt depuis un lancement raté en décembre 2022, et ne doivent pas reprendre les vols avant fin 2024.

« Tout ce qui pouvait mal tourner a mal tourné », se désolait récemment Josef Aschbacher, le patron de l’Agence spatiale européenne (ESA). C’est pourquoi « Ariane 6 est cruciale pour l’Europe, qui doit absolument disposer d’un accès indépendant à l’espace ».

C’est peu dire que les défis à relever sont importants. Ariane 6 a quatre ans de retard à rattraper, face notamment au leader incontesté des lanceurs, le Falcon-9 de SpaceX, la société d’Elon Musk, dont la force reste son premier étage réutilisable : celui-ci revient sur Terre après avoir emmené sa cargaison dans l’espace. Il peut ensuite être reconditionné en quelques mois, avant de décoller à nouveau.

Ariane 6 ne possède pas cette technologie. Lorsqu’elle est lancée en 2014 par l’Agence spatiale européenne, celle-ci n’existe pas encore. Elle ne sera maîtrisée qu’un an plus tard par SpaceX. À l’époque, « Falcon 9 n’arrivait pas encore à se poser mais on voyait déjà qu’elle s’en approchait, rappelle Serge Plattard. L’Europe pensait que le business model ne serait pas viable. Or à l’inverse de SpaceX, où il n’y a qu’une personne qui assume la prise de risque, au sein de l’ESA, 22 gouvernements doivent trouver un consensus, ce qui rend la prise de décision beaucoup plus difficile. »

Reste que pour le professeur passé par le Centre national des études spatiales (Cnes), Ariane 6 n’a rien d’un modèle obsolète : « Nous avons besoin d’un lanceur lourd de souveraineté européenne pour envoyer des satellites de défense, d’observation de la Terre, de télécommunications. » Même si cela coûte cher (4,5 milliards d’euros pour un projet qui restera subventionné par les États jusqu’au quarante-deuxième vol), le marché de l’économie spatiale est en pleine effervescence : selon le cabinet Novaspace, il devrait représenter 760 milliards d’euros dans dix ans, près de deux tiers de plus qu’aujourd’hui.

Et puis, Ariane 6 innove par rapport à sa prédécesseure. Moins chère, elle est plus modulable et peut emporter des charges plus lourdes dans l’espace. Son premier étage redémarrable lui permet de viser plusieurs orbites en un seul vol. « Ariane 6 est conçue pour assurer jusqu’à 12 lancements par an, avec un premier palier à 9 par an », contre 7 pour Ariane 5, assure Franck Huiban, directeur des programmes civils chez ArianeGroup. Ce qui reste toutefois peu face aux 144 vols prévus par la fusée de SpaceX en 2024.

Signal très encourageant pour un lanceur qui n’a encore jamais volé : la nouvelle fusée compte déjà environ 30 lancements dans son carnet de commandes, dont 18 pour déployer la constellation Kuiper d’Amazon. « Cela illustre l’absence de frilosité des clients. Ils sont parfaitement convaincus de bénéficier de l’expérience et de la fiabilité d’Ariane », s’est félicitée Caroline Arnoux, directrice du programme Ariane 6, lors d’une conférence de presse le 25 juin.

Quelques jours avant le lancement, l’opérateur des satellites météo européens, Eumetsat, a toutefois annulé un lancement prévu sur Ariane 6 au profit de SpaceX, citant, sans les préciser, des « circonstances exceptionnelles », faisant fi du principe de préférence européenne qui fait autorité dans le secteur. Un signal négatif qui n’a pas entaché l’enthousiasme des équipes.

Depuis une répétition générale le 20 juin, qui a permis de lever les dernières inconnues, elles se disent très confiantes. « Tout le monde est conscient du risque et des enjeux, mais nous avons vérifié tout ce qui pouvait l’être dans les tests au sol », a assuré Franck Huiban. La fusée se dresse maintenant sur son pas de tir, prête au décollage. Pour que chacun puisse le voir, l’ESA diffusera les images en direct sur sa chaîne YouTube.

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Ariane 6 doit décoller mardi 9 juillet entre 20 heures et minuit, heure de Paris. Le vol, qui accueille 18 satellites à son bord, doit durer 2 heures, 51 minutes et 40 secondes.

Le numéro 6 est dessiné sur la fusée avec les drapeaux des 13 pays européens ayant participé à sa conception.

Du haut de ses 62 mètres, Ariane 6 dépasse de 7 mètres sa prédécesseure. Elle existe en deux versions : l’A-62 avec deux boosters, et l’A-64 avec quatre.

Elle peut emmener jusqu’à 11,5 tonnes en orbite géostationnaire, à environ 35 800 km d’altitude, contre 10 pour Ariane 5.

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