Recrudescence des attaques djihadistes, très forte réduction de l’aide internationale, hausse du coût de la vie… La faim menace dans le nord-est du Nigeria, où plus d’un million de personnes sont confrontées à des malnutritions sévères. Dans l’ensemble du Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec plus de 230 millions d’habitants, un nombre record de près de 31 millions de personnes font face à des situations de malnutrition sévère, selon David Stevenson, chef du Programme alimentaire mondial (PAM) dans le pays.
Avant l’insurrection islamiste, la ville de Damboa était un centre agricole régional. Aujourd’hui, elle est en première ligne d’une véritable lutte pour la survie. Située à 90 km au sud de Maiduguri, la capitale de l’Etat de Borno, la localité est en lisière de la forêt de Sambisa, une réserve naturelle transformée en enclave djihadiste.
Les violences islamistes, qui ont débuté il y a seize ans au Nigeria, ont certes marqué le pas après un pic vers 2015, mais depuis janvier, les attaques se multiplient. En mai, Almata Modu, 25 ans, a rejoint des milliers d’autres personnes qui ont fui la campagne pour se réfugier en ville après que des djihadistes ont envahi son village. Les rations alimentaires sont déjà maigres mais devraient s’épuiser d’ici à la fin du mois de juillet, à mesure que l’aide internationale se tarit. « Nous sommes en sécurité mais la nourriture n’est pas suffisante », dit-elle à l’Agence France-Presse (AFP).
Aminata Adamu, 36 ans, fait le même constat. Elle a fui son domicile il y a une décennie et reçoit des rations mensuelles calculées pour quatre personnes, même si sa famille est progressivement passée à onze personnes.
Les coupes dans l’aide occidentale, et notamment le démantèlement par le président américain, Donald Trump, de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid), plongent les programmes humanitaires dans une situation critique. « C’est notre dernier sac de riz provenant de l’Usaid », pointe Chi Lael, la porte-parole du PAM pour le Nigeria, en montrant une pile de sacs dans un centre de distribution à Mafa, à 150 km de Damboa.
Il y a 5 millions de personnes en situation de malnutrition sévère dans les Etats de Borno, d’Adamawa et de Yobe, les trois régions les plus touchées par l’insurrection djihadiste menée par Boko Haram et l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO). Cette poussée djihadiste s’explique, selon les analystes, par une meilleure structuration de l’EIAO et par la crise économique, qui exacerbe les griefs ruraux. Parallèlement, la collaboration antiterroriste entre le Niger et le Nigeria est mise à rude épreuve, l’armée nigériane ayant déjà fort à faire face au banditisme armé.
Jusqu’à présent, le PAM n’a pu nourrir que 1,3 million de personnes, maintenant menacées par la faim alors que les distributions alimentaires s’arrêtent. « Il n’y a plus de nourriture dans les entrepôts, déclare Chi Lael. Des vies seront perdues. » Le moment ne pourrait pas être pire : de juin à septembre, c’est la saison de « soudure », entre les semailles et les récoltes, où les familles ont peu de réserves. Habituellement, les agriculteurs achètent de quoi manger, mais avec l’inflation massive et le déplacement forcé de populations, beaucoup « ne peuvent pas se permettre grand-chose », insiste Diana Japaridze, du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Autour de Damboa, de vastes étendues de terres agricoles sont abandonnées à cause de la violence. Personne ne cultive. Un agriculteur a été tué dans son champ il y a quelques jours, selon des habitants. Plus loin, sur l’autoroute Maiduguri-Mafa, des milices armées stationnent tous les quelques kilomètres pour protéger les agriculteurs qui osent s’aventurer dehors. Conséquence, Damboa enregistre les cas les plus graves et les plus nombreux de malnutrition chez les enfants de moins de 5 ans dans la région nord-est, selon Kevin Akwawa, un médecin du Corps médical international.
Mère de huit enfants, Fanna Abdulraman, 39 ans, a amené ses jumeaux de 6 mois, gravement malnutris, dans un centre de nutrition. Malnutrie elle-même, elle ne parvient pas à les allaiter. Parmi les 500 centres de nutrition que le PAM gère dans le nord-est du Nigeria, 150 doivent fermer fin juillet en raison d’un manque de financement. Cela met en danger la vie d’environ 300 000 enfants, selon le docteur John Ala, responsable de la nutrition du PAM. Deux imposantes bannières arborant le logo bleu et rouge distinctif de l’Usaid sont encore visibles sur le portail principal du centre de nutrition, mais les stocks s’épuiseront bientôt.
Signe de l’insécurité dans la région, chaque personne entrant dans le centre est fouillée à l’aide d’un détecteur de métaux. « Quand vous observez l’insécurité alimentaire, la pauvreté… la prochaine étape, c’est davantage d’insécurité, car les gens auront recours à des mécanismes d’adaptation terribles pour survivre », prévient John Ala. Avec les opérations du PAM en chute libre, « ce n’est plus seulement une crise humanitaire, c’est une menace croissante pour la stabilité régionale », avertit-il.
Mère de neuf enfants, Fanna Mohammed, 30 ans, ignorait que l’aide alimentaire allait bientôt cesser. « Je ne vois pas comment on va survivre », lâche-t-elle, stupéfaite, un bébé de 8 mois au dos, un autre enfant de 2 ans à ses côtés.