« La virtuosité travaillée de Sarah Bernhardt semble incompatible avec le naturel et l’humour de Tchekhov »

La tournée mondiale de Sarah Bernhardt se termine à Moscou. Et, avant même son arrivée, Tchekhov n’en peut plus : la sarahmania l’exaspère. Qu’on ne compte pas sur lui pour être influencé par la folie collective qui s’empare de la ville. En tant que critique, il sera intraitable : il la jugera sur son art. Uniquement.

Cela ne va pas être facile tant il est déjà, a priori, excédé. Dans son article publié dans Le Spectateur, le 30 novembre 1881, il ne tarit pas de sarcasmes sur l’actrice qui a visité les « deux pôles, sa traîne ayant sillonné en long et en large les cinq continents, parcouru les océans » ; sur cette légende qui « traversa en train des forêts en flammes, combattit des Indiens et des tigres » ; sur les Américains qui auraient bu tout « le lac Ontario dans lequel s’était baignée Sarah Bernhardt ».

L’écrivain est terriblement agacé, aussi, par la cohue folle aux abords de la gare où elle doit arriver : « Moscou se tenait sur l’estrade », « Deux jours plus tôt [elle] ne connaissait que sept merveilles, et aujourd’hui il ne s’écoule pas trente secondes sans que l’on ne parle de la huitième ». « On oublie le mauvais temps, les mauvais trottoirs, les belles-mères et les dettes. » Tout cela lui semble une forme d’« aliénation primitive ».

Il le répète cependant, sans réelle conviction : il critiquera la comédienne « de la plus stricte manière ». « Nous regardons Sarah Bernhardt sans sourciller, la dévisageant et nous efforçant à tout prix de découvrir en elle autre chose qu’une artiste talentueuse. »

Dans un second article, publié après une représentation au théâtre, son irritation s’accroît encore : « Chaque soupir de Sarah Bernhardt, ses larmes, ses convulsions suprêmes, tout son jeu, tout cela n’est rien de plus qu’une leçon impeccablement et intelligemment retenue. » Tout, chez elle, selon lui, n’est que réflexion, labeur, artificialité et travail.

Le public moscovite se montre, lui aussi, peu enthousiaste lors de la représentation. Non parce qu’il serait, pour reprendre les mots de Tchekhov, constitué d’ours qui n’ont rien compris. Mais, bien au contraire parce qu’il est « le public le plus exigeant » du monde.

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