Cet été, j’ai animé un atelier d’écriture à Saratoga Springs, dans l’Etat de New York. Poètes, romanciers et essayistes y passent plusieurs semaines très agréables dans une sorte de colonie de vacances pour adultes, copieusement arrosées de bon vin. L’un des meilleurs moments du séjour est le dîner quotidien chez le directeur. Animé par des conversations vives, il réunit l’équipe et des écrivains de renom, invités à donner une conférence après le repas.
Cette année, nous avons reçu l’écrivaine américano-antiguaise Jamaica Kincaid, et je me suis souvenu d’une citation d’elle, que j’avais partagée sur Twitter [aujourd’hui X] quelques étés plus tôt : « C’est vraiment important de protéger la liberté d’expression, et c’est vraiment important de pratiquer l’art de l’opprobre [the art of shunning]. Les gens peuvent dire tout ce qu’ils veulent d’horrible, et je peux ne plus jamais leur adresser la parole. »
Cela remonte à l’époque enfiévrée que certains d’entre nous, rétrospectivement, surnomment the great awokening, c’est-à-dire l’émergence d’un certain conformisme idéologique marqué à gauche. Ce « grand réveil woke », amorcé avec le second mandat d’Obama, de 2013 à 2017, a connu son apogée à l’été 2020 et semble s’être définitivement interrompu avec l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, et ses conséquences, à savoir l’extraordinaire retour de bâton droitier qui a depuis submergé les institutions académiques, culturelles et médiatiques à travers les Etats-Unis.