Ils ne se sont pas revus depuis près de cinquante ans. Autant dire le temps d’un battement de cils. Quand Gabriel Aristu, un Espagnol septuagénaire émigré de longue date aux Etats-Unis, revient rendre visite à Adriana Zuber, son amour de jeunesse restée à Madrid, toute une vie est passée. Mais au fond, c’est comme si rien n’avait changé depuis ce 16 mai 1967. L’appartement où ils se sont aimés une dernière fois est resté le même. La lumière qui filtre par la fenêtre est identique. Jusqu’à la pendule qui égrène les heures et sonne pareil. Seule la chevelure d’Adriana a perdu sa rousseur ardente au profit d’un blanc sans appel. Quant à son corps, il se meut désormais avec peine, et avec l’aide d’une auxiliaire de vie. A côté de quoi sont-ils passés, l’un loin de l’autre ?
En racontant les retrouvailles, au soir de leur existence, d’un couple séparé par les circonstances de la vie et non par leurs sentiments, demeurés intacts, Antonio Muñoz Molina fait bien plus que le récit d’un ratage amoureux, dont les deux protagonistes, liés depuis l’adolescence, prendraient conscience sur le tard. Je ne te verrai pas mourir est un roman splendide sur la mémoire et l’histoire qu’il compose ici : celles d’un individu, Gabriel, qui crut oublier son amante pendant un demi-siècle, mais aussi celles de l’Espagne, aux prises avec les conséquences de la guerre civile (1936-1939).