« Le premier souvenir que j’ai, c’est d’avoir froid. On est à l’aéroport d’Orly, c’est le 29 juin 1980. On attend le taxi et, malgré mon gilet, j’ai froid. Je viens d’Ispahan, en Iran, où il doit faire entre 26 °C et 30 °C à cette saison, avec un ciel bleu. Ici, à Paris, la luminosité et la couleur du ciel n’ont rien à voir. Il fait gris et il pleut.
Quand on arrive en France avec ma famille, cela fait un peu plus d’un an que la révolution islamique a eu lieu. Mon père est chercheur en pharmacie et toxicologie, ma mère bénévole auprès de l’impératrice Farah Diba, dans une association qui cherche à offrir plus d’autonomie aux femmes. J’ai deux frères de 14 ans et 16 ans, et moi j’ai 10 ans.
Nous sommes partis de chez nous comme si nous venions pour deux mois de vacances en France. Nous avons dans nos valises le strict nécessaire, pour ne pas attirer l’attention des gardiens de la révolution, qui fouillent tout, et éviter de leur donner l’impression que nous cherchons à fuir le pays. Mon père vient d’obtenir une bourse de recherche à la faculté de pharmacie, à Port-Royal, à Paris, pour un an renouvelable. Mais mes parents espèrent qu’à la fin de l’été les choses se seront améliorées et qu’on pourra rentrer. Or, la réalité, c’est qu’en Iran la situation se tend. On ne me dit pas grand-chose, mais je pense que je comprends.