C’est une incroyable histoire que notre confrère Philippe Broussard a révélée en 2024 dans Le Monde après quatre ans d’enquête, et qu’il vient de compléter dans un livre riche d’informations inédites, Le Photographe inconnu de l’occupation (Seuil, 304 pages, 27,90 euros) : le destin de Raoul Minot (1893-1945), employé au grand magasin Le Printemps, à Paris, qui, à ses heures perdues, et sans autorisation, a photographié le Paris occupé par les Allemands, avant d’être arrêté, début 1943.
Ce destin ne doit pas occulter une question : que dire de ses photos par rapport à celles que nous connaissons de la période ? Les historiens répondront. Mais cernons déjà leur singularité. Raoul Minot rejoint la cohorte des passionnés de photographie opérant hors cadre professionnel. Ses tirages sont petits (6 x 8 cm) et dentelés, proches de ceux que les familles en Europe collent dans des albums, mais le contenu des images est unique.
La photo amateur traduit souvent des obsessions intimes. Or Minot ne dit rien de lui dans ses images, il adopte un sujet qui est l’apanage des pros. Du photojournalisme hautement inflammable. Il réalise, entre 1940 et 1942, environ 700 photos du Paris allemand à une époque où le seul fait de déclencher dans la rue, sans autorisation, peut mener à la mort.
Minot va plus loin en se focalisant sur des soldats en uniforme. Il doit opérer sans être vu. Nombre d’occupants sont photographiés de dos. Deux ou trois semblent le regarder sans distinguer son appareil Brownie Kodak, caché a priori sur l’abdomen. Les cadrages sont aléatoires, les personnages parfois perdus dans une ville désertée. Il n’y a pas d’événements, juste des moments furtifs volés à l’intimité de l’occupant, des instants bruts, imparfaits, peu attractifs ni spectaculaires. La seule fantaisie – ou coquetterie – est l’ombre du photographe qui apparaît une seule fois au sol.
Dans un contexte de guerre et de censure, c’est la grande force de ces images que d’être sans qualités : elles tutoient la vérité, elles donnent à voir ce qu’on ne doit pas voir. De la même façon que les paparazzis disent montrer « la vérité » d’une star, loin de son image magnifiée et retouchée dans les magazines, Minot montre les Allemands tels qu’ils sont.