« Une écorchure », de Marianne Gokalp : le feuilleton littéraire de Tiphaine Samoyault

Le livre surprend à chaque page par sa langue et son ton. J’ai le sentiment joyeux de faire une découverte. La maison d’édition est petite, l’autrice est inconnue. Une écorchure est son premier livre. On nous dit que Marianne Gokalp est née en 1987 et qu’elle est professeure d’anglais en Loire-Atlantique. Rien n’encombre la lecture avant de la commencer. Dans les premières pages, on apprend qu’une jeune femme vient de réussir l’agrégation. Elle fait la fête avec des amis avant de partir en Grèce. L’été est léger et chaud. Une tache de sang rouge-noir apparaît sur un sein, « comme la fin d’un point d’interrogation dont le début t’aurait échappé ». Elle a à peine 25 ans. Un mot « dormait en plein soleil » et a surgi : « untimely ». Il veut dire déplacé, intempestif, prématuré, trop jeune pour mourir.

Une décennie plus tard, la jeune femme revient sur les quatre années qui se sont écoulées entre le diagnostic de l’été 2012 et la fin complète des traitements. L’éloignement temporel met à distance le pathétique de la situation, permet d’en prélever les détails mordants. La narration est le plus souvent à la deuxième personne du singulier, ce qui produit un autre décalage. Le corps n’est plus le même. L’altération subie dans le cadre de la maladie ne permet plus de dire « je ». Tout en rapprochant la lectrice ou le lecteur de l’expérience, le « tu » est une adresse à l’autre que le cancer a fait advenir. Le nouvel être se dit aussi à la troisième personne : la figure de Genevièy incarne la malade qui traverse d’un coup tous les âges, la jeune-vieille, Genevièy, sa « jeunesse centenaire ». La maladie provoque ce désordre social, où les rôles permutent et se confondent, où la femme âgée se retrouve dans la jeune, où l’on se balade à travers le temps, tout près de l’enfance et tout près de la mort.

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