« Je me souviens très bien du moment où l’idée de mon premier roman m’est venue. J’étais en train de me balader à Gand, en Belgique, avec mon copain de l’époque. Je me suis dit : “Tiens, qu’est-ce qu’il se passerait si la nourriture était tabou et le sexe un espace de socialisation très commun ?” J’ai trouvé ça intéressant à imaginer. Comment se passe une rencontre, comment on drague, que deviennent les restaurants, que fait-on quand on est invité chez des amis… Et que mangerait-on si on n’avait aucune éducation en la matière ?
En cuisine, on part avec un corpus faramineux de recettes, de techniques, d’histoires partagées. A l’inverse, on ne sait quasiment rien de la sexualité, que l’on n’apprend qu’au fil des expériences, bonnes ou mauvaises. J’ai imaginé que la cuisine devenait cela – un plaisir secret, intime, voire interdit et illégal. Cela permettait aussi d’écrire des choses sur le pouvoir, l’emprise, la violence, le désir.
Dans la scène où l’héroïne est forcée à manger du saumon cru, on peut sentir la violence extrême, précisément parce qu’elle arrive là où on ne l’attend pas… Mais on retrouve aussi, dans l’acte de cuisiner, le plaisir des sens. C’est ce que la protagoniste va chercher dans ses ateliers avec Madame Reine-Claude, où elle s’émerveille des formes, couleurs et goûts des légumes, et découvre la joie clandestine de préparer (et de déguster) une ratatouille bien aillée.
J’ai choisi de raconter ce plat dans mon roman, d’abord parce que j’ai écrit la scène en été et qu’il me fallait décrire des légumes de saison, que je devais goûter pour être réaliste ; aussi parce que c’est coloré, joyeux à écrire et que cela ne requiert pas trop de bagage culinaire ; mais surtout parce que c’est l’un des mets que je préfère. Il y avait d’abord celle, très classique, de ma mère. Elle mélangeait et cuisait tous les légumes d’un coup, ce qui peut rendre la ratatouille aqueuse et moins goûteuse. Vers l’âge de 25 ans, j’ai découvert qu’on pouvait préparer la ratatouille légume par légume, pour les mettre chacun en valeur, sublimer leur goût propre, avant de les rassembler.
Ma mère n’aimait pas préparer des repas élaborés, elle a toujours peu cuisiné, et très simplement, des gratins, des potages, des steaks… J’ai très tôt fait la tambouille, avec ma grande sœur qui se plaisait à inventer des plats. Maintenant, j’aime surtout me plonger dans les livres de cuisine et essayer de nouvelles recettes chaque jour. J’adore explorer, inventer, tester. C’est peut-être l’influence de mes études scientifiques, avant de bifurquer vers l’ENA. Une fois diplômée, j’ai rejoint le ministère des finances, où j’ai travaillé sept ans – des années intenses, difficiles par moments, durant lesquelles l’écriture et la cuisine m’ont toujours soutenue.
Après un burn-out, j’ai quitté mon poste et je me suis mise en disponibilité. Aujourd’hui, je suis maman et mon prochain livre sort dans quelques mois : une fiction toujours, mais très différente de mon précédent roman. Une histoire de burn-out, de changement, de renaissance… avec forcément un soupçon de cuisine. »