C’est l’un des slogans phares qui s’affichent dans les grandes villes du Maroc depuis le début de la mobilisation d’une partie de la jeunesse marocaine, fin septembre : « Nous voulons des hôpitaux, pas seulement des stades. » Ce week-end encore, des sit-in sont organisés à travers le pays pour réclamer un meilleur système éducatif et de santé et demander la démission du gouvernement d’Aziz Akhannouch. L’élément déclencheur de ce vent de révolte est une série de décès de femmes après leur accouchement à l’hôpital Hassan-II d’Agadir au mois de septembre.
Les manifestants dénoncent alors le déphasage entre les besoins de la population et investissements privilégiés par le gouvernement, particulièrement les sommes investies pour organiser la Coupe d’Afrique des Nations 2025 suivie du Mondial de football 2030 aux côtés de l’Espagne et du Portugal. Les Décodeurs vous donnent des clés pour mieux comprendre ce débat.
Deux des plus importantes compétitions de football à venir vont se dérouler au Maroc. En 2023, la FIFA a attribué l’organisation du Mondial 2030 à l’Espagne, au Portugal et au Maroc. L’Etat chérifien est également le pays hôte de la prochaine Coupe d’Afrique des nations qui débute le 21 décembre 2025. Cette compétition servira de galop d’essai pour le pays dirigé par le roi Mohammed VI.
Partout au Maroc, des travaux de construction et de rénovation ont donc été entrepris afin de répondre au cahier des charges imposé par la FIFA pour organiser la Coupe du monde. L’organisation internationale de football exige, par exemple, que les organisateurs de l’édition 2030 disposent de quatorze stades avec un minimum de places assises en fonction du moment de la compétition : 40 000 places pour les phases de groupes, les huitièmes de finale et les quarts de finale ; 60 000 places pour les demi-finales ; 80 000 places pour le match d’ouverture et la finale.
Voici les principaux postes de dépenses du Maroc en vue du Mondial 2030 :
Ces investissements s’étaleront jusqu’au coup d’envoi de la Coupe du monde 2030. A titre indicatif, en 2025, le budget du Maroc s’élevait à 721,3 milliards de dirhams marocains soit 67,2 milliards d’euros.
Les pays les plus développés ont souvent moins de frais pour organiser une Coupe du monde que les Etats en voie de développement. Cela est notamment dû au fait qu’ils possèdent souvent des stades déjà aux normes de la FIFA et des infrastructures taillées pour accueillir des millions de visiteurs pendant les quatre semaines de compétitions. Par exemple, la France avait dépensé au total 2,3 milliards de dollars (environ 2 milliards d’euros) pour organiser la Coupe du monde 1998 et l’Allemagne 4,3 milliards de dollars (environ 3,7 milliards d’euros) pour l’édition de 2006, selon une étude de Front Office Sports.
Si les sommes engagées par le Maroc d’ici à 2030 s’annoncent élevées, elles n’atteindront probablement jamais les 220 milliards d’euros dépensés par le Qatar pour organiser l’édition 2022.
Fouzi Lekjaa, le ministre du budget et président de la fédération marocaine de football, a assuré lors d’une conférence à l’Ecole nationale supérieure de l’administration (ENSA) que le Maroc avait « besoin » de réaliser toutes ces dépenses. « Le Maroc, avec ou sans Coupe du Monde, devait améliorer la capacité de [ses] aéroports », avait-il défendu tout en précisant que le rallongement de la ligne à grande vitesse allait « métamorphoser la vie » des Marocains.
Un discours cohérent selon Luc Arrondel, économiste au Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) et à l’école d’économie de Paris (PSE) : « Les dépenses pour les aéroports, les voies ferrées et les voies routières pourront bénéficier à la population à long terme. Barcelone a, par exemple, bénéficié de l’organisation des Jeux Olympique de 1992 en devenant une destination touristique. » Mais le spécialiste de l’économie du football se montre plus circonspect quant aux investissements dans les équipements sportifs : « Est-ce que les stades neufs vont devenir des “éléphants blancs” ? ».
L’expression désigne les stades construits spécifiquement pour des grands événements qui génèrent à terme plus de charges que de revenus. Vides ou presque après les tournois, ces enceintes sportives nécessitent un entretien très coûteux au quotidien. Pour éviter une telle errance, le Qatar avait projeté de démonter le Stade 974 à Doha après la Coupe du monde 2022 et de l’offrir à un pays qui en aurait besoin. Une promesse qui n’était toujours pas tenue en janvier 2025 puisque le PSG et Monaco s’y sont affrontés pour le Trophée des champions. Fouzi Lekjaa, conscient de cet enjeu, garantissait devant les étudiants de l’ENSA que le futur Stade Hassan II « sera occupé la totalité de l’année » même après le Mondial 2030.
La présence de touristes venus du monde entier pourrait laisser penser que les pays hôtes sont bénéficiaires à l’issue de l’organisation d’une Coupe du monde. Mais en prenant en compte les dépenses préparatoires, « la plupart d’entre elles sont à l’équilibre ou déficitaires », souligne Luc Arrondel. A titre d’exemple, le Brésil « n’a bénéficié ni des Jeux olympiques de 2012 ni du Mondial de 2014 ». L’économiste observe que les résultats positifs tiennent « souvent aux effets d’héritages et à la visibilité que donne l’événement pour développer le tourisme et recevoir des investissements étrangers ».
De visibilité médiatique, il est aussi question pour ceux qui se mobilisent contre. Comme une partie des Marocains aujourd’hui, des Sud-africains en 2010 et des Brésiliens en 2014 s’étaient mobilisés en amont mais aussi pendant la compétition pour réclamer de meilleurs services publics et dénoncer l’ampleur des sommes investies par leurs gouvernements pour organiser ces événements sportifs. Des journées « anti-Mondial » avaient été organisées dans plusieurs villes brésiliennes où des manifestants scandaient « Brésil réveille-toi, un professeur vaut plus que Neymar ! ».