L’air est glacé sur Millennium Bridge, le pont qui enjambe la Tamise entre la Tate Modern et la City, mais le soleil levant illumine déjà l’énorme dôme de la cathédrale Saint-Paul. Il est 8 heures ce dimanche de fin octobre. Les premiers touristes arrivent, avides de profiter du quartier, cœur battant du Londres historique. Au bout du pont, sur la droite côté City, une discrète volée de marches permet d’accéder à la rive et de pénétrer dans un monde parallèle.
En un instant, le bruit du ressac et des navettes fluviales couvre le vacarme de la capitale britannique. La Tamise reprend ses droits, puissante et mouvante, avec ses marées qui dévoilent deux fois par jour de larges bancs de boue et de sable. Ces berges sont le royaume des mudlarks (les « écumeurs de berges »), à la fois chercheurs de trésor et passeurs d’histoire.
Sean Clarke est l’un d’entre eux. Avec pour seul équipement des bottes, des protège-genoux et des gants de jardinage, il a donné rendez-vous au bord de l’eau pour partager sa passion. « On aura au moins jusqu’à 13 heures pour suivre la marée descendante puis montante », avait-il précisé, par mail, quelques jours plus tôt.
Les mudlarks existent depuis des siècles, peut-être depuis la Londres antique – la ville fut fondée entre 47 et 50 après J.-C. par les Romains, qui en firent la capitale de la province de Britannia, jusqu’à ce qu’ils en partent, au Ve siècle. Il s’agissait de personnes si pauvres qu’elles en étaient réduites, pour vivre, à fouiller le rivage à la recherche d’objets de valeur.
Les écumeurs de berges modernes n’ont plus rien à voir avec ces miséreux : retraités, cadres ou artistes, ce sont des collectionneurs amateurs ou compulsifs, moins intéressés par l’argent que par les fascinants fragments du passé que le fleuve charrie sur ses 346 kilomètres.