Spécialiste de sociologie historique et comparée du politique, ancien directeur du Centre de recherches internationales, Jean-François Bayart est professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, où il est titulaire de la chaire Yves Oltramare Religion et politique dans le monde contemporain. Il est notamment l’auteur de L’Energie de l’Etat (La Découverte, 2022).
Depuis l’échec des « printemps arabes » de 2011, nous sommes entrés dans un âge de révolution conservatrice à l’échelle mondiale : Donald Trump aux Etats-Unis, Vladimir Poutine en Russie, Recep Tayyip Erdogan en Turquie, Narendra Modi en Inde… Il s’agit de phénomènes de restauration – ou d’instauration – de l’autoritarisme, à l’interface de l’exaltation de valeurs dites « traditionnelles » et de la célébration de la technologie. Les vieilles démocraties européennes n’en sont pas à l’abri. Les coups d’Etat au Sahel ou l’élection présidentielle au Sénégal en portent aussi la marque.
Cette révolution conservatrice repose sur deux dynamiques. D’une part, un discrédit de la démocratie, menant souvent à sa remise en cause. D’autre part, la pérennisation de régimes de prédation économique, refaçonnés par le néolibéralisme depuis les années 1980. Ces systèmes concentrent les richesses entre les mains du pouvoir, privatisant les services publics et transformant l’Etat en un outil d’accumulation au profit d’une élite.
C’est contre cet ordre établi, et les inégalités et les injustices sociales qu’il génère, que se dresse aujourd’hui la « gen Z ». Ces jeunes, souvent diplômés, mieux connectés, ne trouvent pas leur place au soleil et sont frappés de plein fouet par les effets de cette mutation. Beaucoup sont pris en étau entre un marché de l’emploi « ubérisé », dominé par la précarité, et la fermeture des frontières des pays occidentaux. Pour les sociétés du Sud, cette restriction des migrations se traduit aussi par un effondrement des mandats, source essentielle de revenus face au déclin de l’aide internationale. L’humiliation dans les consulats, les morts du désert et de la mer ravivent le ressentiment anticolonial et antiesclavagiste.