Sous des cataractes de pluie et dans un fracas d’écume, deux géants s’affrontent. D’un côté, l’Amazonie qui déverse à pleins flots ses eaux douces. De l’autre, l’Atlantique, salé, qui résiste. Le combat forme un champ de bataille périlleux : sables mouvants, courants trompeurs, vagues, orages… L’imprudent voyageur n’a d’autre choix que de se recroqueviller sur sa pirogue pour attendre l’accalmie. Dans leur étreinte aquatique, la jungle et l’océan ne tolèrent aucun arbitre ni témoin.
A l’extrême nord du Brésil, la forêt tropicale révèle sa façade maritime. Celle-ci s’étend sur 600 kilomètres, à hauteur de l’équateur, le long des côtes de l’Etat de l’Amapa. Apparaît ici une Amazonie singulière, moins connue, celle des mangroves profondes et des marées démesurées. C’est le siège du pororoca, « grand fracas », en langue indigène tupi, redoutable mascaret né du brutal télescopage entre les eaux du continent vert et celle du grand bleu.
Ce monde hostile, suspendu entre deux immensités, est resté longtemps un repaire de pêcheurs, d’orpailleurs et d’aventuriers. Mais, depuis peu, les choses ont radicalement changé. Dans la cité d’Oiapoque, à l’embouchure du fleuve du même nom, face à la Guyane française, on pioche, on asphalte et on bâtit à tour de bras. Le vacarme des marteaux-piqueurs étouffe le rugissement du pororoca, et la région brûle d’une fièvre plus tenace que n’importe quelle maladie tropicale : celle de l’or noir.
« Le pétrole va aider tous ceux qui aspirent à une ville meilleure », s’enflamme Marcelo Darcio Souza de Santos, 56 ans, patron d’une échoppe au marché. Comme la quasi-totalité des 30 000 Oiapoquenses, cet homme menu a applaudi la décision des autorités, qui ont donné, le 20 octobre, leur feu vert à l’exploration pétrolière au large de l’Amazonie brésilienne. La décision, une première dans la région, a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel tropical, alors que s’ouvre, le 6 novembre, à Belem, un sommet des chefs d’Etat en prélude à la 30e conférence des Nations unies sur le climat (COP30).