Livre. Chien, âne ou cochon, il ne fait jamais bon être comparé à une bête. Ces anathèmes du quotidien rejouent, aux yeux du philosophe Jacques Deschamps, une frontière fondatrice de notre humanité, lui opposant la sauvagerie, la stupidité ou l’abjection incarnée par l’animalité. C’est justement depuis celle-ci que le stimulant essai Notre animalité perdue (Les Liens qui libèrent, 256 pages, 21,50 euros) propose de (re)penser la condition humaine, et plus particulièrement un enjeu brûlant : la persistance de la violence de masse, qui contredit en apparence le récit de la civilisation comme degré suprême de maîtrise des pulsions meurtrières. Jacques Deschamps soutient que l’intensité des guerres et de la brutalité exercée par l’humain s’explique par le rejet de sa part animale, qu’il s’emploie à réévaluer.
La violence préoccupe ce professeur de philosophie, passé par l’enseignement en lycée et l’Ecole normale supérieure de Lyon. Dans la collection « Trans » où paraît ce nouvel essai, il avait déjà signé en 2023 un Eloge de l’émeute. Jacques Deschamps approfondit à présent sa pensée avec un propos à la confluence de l’anthropologie et de l’éthologie, qui tente d’accorder son pessimisme civilisationnel avec une vision clémente de la nature humaine.
Cette approche suppose au préalable de faire le point sur la « continuité paradoxale » entre l’humain et le reste des animaux. Aptitude au langage, fabrication d’outils, capacités d’apprentissage : rien n’est exclusivement le propre d’Homo sapiens, démontre un passage en revue des acquis des sciences du vivant. Pourtant, une trajectoire unique caractérise notre espèce, dont Jacques Deschamps situe le point de départ au moment de la domestication du feu, il y a quelque 800 000 ans. Il n’y a donc pas rupture, mais « complexification ». Or, notre histoire culturelle a fondé l’humain comme radicalement différent de l’animal, et en particulier l’homme blanc comme « ni animal, ni sauvage, ni femme ».