S’exprimer sur le rapport que la nation peut entretenir à sa défense est un exercice extrêmement sensible, voire périlleux. Le chef d’état-major des armées, Fabien Mandon, en a fait l’expérience après son discours prononcé, mardi 18 novembre, devant le Congrès des maires. Nos soldats, a-t-il affirmé devant les édiles, « tiendront dans leur mission s’ils sentent que le pays tient avec eux. Si notre pays flanche, parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants – parce qu’il faut dire les choses –, de souffrir économiquement – parce que les priorités iront à de la production de défense, par exemple –, si on n’est pas prêt à ça, alors on est en risque ».
Cette prise de parole visait à prendre à témoin les élus sur la nécessaire prise de conscience de la montée des menaces liées à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et des risques d’élargissement du conflit aux membres de l’OTAN, à commencer par la France. Cet exercice de sensibilisation a rapidement tourné à la polémique sur des mots lourds de sens dans le contexte de tension actuel. L’expression « accepter de perdre ses enfants » a été fustigée à gauche – Jean-Luc Mélenchon reprochant au général Mandon de se livrer à des « préparations guerrières » – comme à l’extrême droite.
La prise de parole du chef d’état-major des armées n’a rien d’intempestif. Elle se situe dans une série de déclarations au plus haut sommet de la défense qui vont dans le même sens. « On doit se préparer à une guerre de haute intensité, car c’est la meilleure solution pour l’éviter », avait déclaré le général Burkhard, juste avant de céder son poste durant l’été à Fabien Mandon. Fin octobre, ce dernier avait également demandé aux armées de « se tenir prêtes à un choc à une échéance de trois à quatre ans, qui serait une forme de test ».
Faire de la pédagogie sur la réalité de la menace russe est une nécessité. Les survols de drones au cœur des pays de l’OTAN, la guerre informationnelle permanente menée par Moscou, les actes de sabotage comme l’explosion d’une voie ferrée en Pologne mi-novembre, sans oublier un énième plan russo-américain qui n’est pas de nature à désamorcer l’agressivité de la Russie montrent que, si l’Europe n’est pas en guerre, elle n’est plus tout à fait en paix. Dans ce contexte, sensibiliser les maires, l’échelon de représentation le plus proche de la population, sur la façon de pouvoir participer à l’effort de défense nationale n’a rien de choquant.
Mais, dans le contexte politique actuel, ravagé par les effets de la dissolution de l’Assemblée nationale et la pression budgétaire, la pédagogie sur la défense se fait en terrain miné. A gauche, La France Insoumise, comme les communistes, n’a pas voté la loi de programmation militaire adoptée en 2024, qui doit permettre de faire remonter en puissance l’armée française d’ici à 2030. Le parti de M. Mélenchon est aussi farouchement opposé aux efforts de défense lancés par les Européens et au rôle de la France au sein de l’Alliance atlantique. « La France vaut mieux que ce bal d’autruches », a regretté de son côté vendredi Raphaël Glucksmann, le leader de Place publique.
La polémique suscitée montre qu’il y a peut-être eu une « mauvaise appréciation de situation », comme disent les militaires. Une maladresse, qui peut affaiblir le but recherché. Néanmoins, la forme des mots prononcés par le chef d’état-major des armées ne doit pas faire oublier la gravité de l’objectif : se tenir prêt à résister à l’agressivité militaire russe, si ce scénario se présentait.