Attendues depuis des semaines, les enchères organisées dans la soirée du 8 décembre à New York, dans le Breuer Building, l’ex-Whitney Museum fraîchement inauguré en nouveau siège de Sotheby’s, n’ont pas manqué d’attirer les connaisseurs. Et de consacrer, sans surprise, Suzanne Belperron. La créatrice française de bijoux (1900-1983), très cotée, a brillé, aux côtés de JAR (Joël Arthur Rosenthal), Cartier, Van Cleef & Arpels ou Boucheron. Le casting éblouissant de cette sélection appartenait à une propriétaire anonyme au goût très sûr. « C’est simple, s’émerveille Catharine Becket, responsable monde de la haute joaillerie chez Sotheby’s, cette collection ne comporte aucune fausse note. »

Parmi les 24 pièces éparpillées signées Belperron – dont deux pour René Boivin où elle travailla entre 1919 et 1932, avant de se lancer à son compte –, « chacune reflétait fidèlement des éléments qui ont valeur de signature : son talent de coloriste, son goût pour le cristal de roche, la chaleur de l’or vierge », approuve Olivier Baroin. Depuis 2008, cet expert indépendant exploite le fonds d’archives – que l’on pensait brûlé – qui contribue à dater et authentifier l’œuvre de cette joaillière à la biographie romanesque.

Talent précoce, Madeleine Suzanne Vuillerme, de son vrai nom, fut une amie de la bonne société, fréquenta des clientes de renom (Gabrielle Chanel, Elsa Schiaparelli), aurait dissimulé aux autorités durant la guerre la judéité d’acheteurs, et finit sa vie, à 82 ans, dévorée d’arthrite et noyée dans sa baignoire. Au total, chez Sotheby’s, les estimations basses additionnées pour son travail équivalaient à 1,32 million de dollars ; les estimations hautes, à 1,94 million. Leur cumul a finalement décollé sous le marteau au-delà des 3,5 millions de dollars (3 millions d’euros).

Parmi les lots appréciés : un plastron rose et bleu en topazes, morganites et aigues-marines, des manchettes « papillotes » en stries d’or ou un collier composé de galets de saphirs. « Si la popularité de Suzanne Belperron ne se dément pas à travers les années, c’est que ses bijoux sont à la fois atemporels et que leur esthétique flirte avec l’art moderniste, s’anime Catharine Becket. Prenez le lot 40, une manchette sculpturale en calcédoine lestée d’une améthyste en cabochon : elle est digne d’un Fernand Léger ou d’un Le Corbusier. »

Chez les enchérisseurs, les décennies passent et l’attrait pour Belperron reste. Il éclôt d’abord en avril 1987, lors de la vente de la cassette des bijoux de la duchesse de Windsor, chez Sotheby’s, à Genève : plusieurs pièces, dont une fameuse parure en billes de calcédoine, lancent le phénomène, jamais démenti depuis. « Pour les collectionneurs, détenir un de ses bijoux est un must », constate Violaine d’Astorg, à la tête, à Paris, du département joaillerie de Christie’s qui propose notamment, du 5 au 17 décembre, trois lots de la Jurassienne, dont une bague de 1967 sertie de deux saphirs et une épatante broche fleur des années 1940 en calcédoine godronnée (décorée de cannelures) et émeraude gravée.

L’appétit est tel qu’il y a dix ans, anticipant une vente Sotheby’s à Genève, une certaine Mme L. était restée stupéfaite devant les estimations d’Olivier Baroin : « Mon Dieu, que d’argent ! » Redoutant l’envol des frais et taxes, cette octogénaire, arrivée avec de jolis spécimens dans un banal sac en plastique, avait finalement préféré garder pour elle quelques pièces, « dont un très beau diamant jonquille serti dans un bloc de quartz fumé », se remémore l’expert.

Acquérir une pièce Belperron, c’est d’abord s’emparer d’un luxe rare, car sa production existe en quantité raisonnable. « Cela rend ses pièces toujours plus recherchées et fait grimper leur cote », résume Valérie Goyer, la directrice joaillerie d’Artcurial. Son style, lui, « tient de l’indéfinissable. Mme Belperron pouvait concevoir pour une cliente un bijou classique et, pour une autre, une pièce à la lisière de l’exubérance », rappelle Olivier Baroin. Une plasticité qui aujourd’hui arrange les maisons d’enchères : si les prix ne sont pas à la portée de tous, visuellement, il y a de quoi séduire des profils divers.

Certains traits communs demeurent : géométrie, pierres cabochons, volumes et formes affirmés. Mais, plus que tout, disent les initiés, un charme, un je-ne-sais-quoi d’audacieux. « Ma signature, c’est mon style », affirmait Suzanne Belperron afin de justifier pourquoi elle ne signait jamais ses bagues, colliers, bracelets ou broches. « Au-delà de la formule, analyse Violaine d’Astorg, chez Christie’s, affirmer, cela a forcé les collectionneurs à regarder sa patte, à la reconnaître. » Pour mieux l’adopter.

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