Dans des circonstances rocambolesques, un nom a fini par sortir du chapeau, vendredi 13 décembre : François Bayrou, le président du MoDem, est devenu, à 73 ans, le nouveau locataire de Matignon, succédant à Michel Barnier, même âge, censuré mercredi 4 décembre par la gauche et le Rassemblement national. Plus qu’une nomination, il s’agit d’une autopromotion tant le Béarnais a bataillé pour arracher la décision à un président de la République plus procrastinateur que jamais, ballotté entre la crainte de perdre son pouvoir et le jeu de blocage auquel se livrait en coulisse tel ou tel chef de parti désireux de sauver son pré carré. Dans cette phase de grande incertitude, le peu de crédit qui reste au monde politique menaçait de partir en fumée. Il était plus que temps que cesse la mauvaise farce.
La France a un nouveau premier ministre, le quatrième en moins d’un an, et pourtant rien ne dit à ce stade qu’il durera plus que les autres et réussira mieux qu’eux. « L’homme de la réconciliation », comme aime à se décrire François Bayrou, celui qui caresse depuis 2007 le rêve de rassembler les réformistes de gauche, du centre et de droite pour « trouver un chemin », va devoir rapidement passer aux travaux pratiques s’il ne veut pas laisser Marine Le Pen maîtresse du jeu.
Certes, une partie de la gauche a bougé après le choc de la censure. La direction du Parti socialiste (PS) a choisi de façon responsable, en fin de semaine dernière, de faire un pas vers le compromis en entraînant derrière elle Les Ecologistes et le Parti communiste. La manœuvre a isolé Jean-Luc Mélenchon, qui se trouve seul à revendiquer la destitution du président de la République et l’organisation d’une présidentielle anticipée dans laquelle il espère s’imposer comme le candidat de la gauche.
Mais le PS se battait pour qu’un premier ministre de gauche s’installe à Matignon. Il ne l’a pas obtenu et reste, comme l’ensemble des autres partis du Nouveau Front populaire, dans l’opposition en se disant cependant ouvert à un accord de non-censure dont il entend monnayer chèrement les termes. Sa principale exigence est que le gouvernement renonce à faire usage du 49.3, ce qui obligera François Bayrou à de nécessaires concessions sur les hausses d’impôts et la réforme des retraites, deux totems du macronisme.
La droite, en réaction, se montre méfiante et rétive. Elle affirme que sa participation au gouvernement n’est pas acquise, qu’elle se déterminera en fonction du projet que défendra le nouveau premier ministre. François Bayrou est d’emblée soumis aux mêmes pressions que son prédécesseur, mais avec, qui plus est, le risque de grand écart.
A peine nommé, l’ancien haut-commissaire au plan a insisté sur l’enjeu de la dette et des déficits, ce qui était une façon de remettre de la gravité sur la scène politique. Le pays est à l’arrêt depuis des mois, avec un président de la République en forte perte de légitimité et des députés jusqu’à présent incapables de redorer le blason du Parlement, faute d’avoir intégré que l’absence de majorité les incitait au compromis.
Cela se paie d’un double affaiblissement, démocratique et économique. Les Français sont inquiets, certains même exaspérés. Il faut d’urgence que le président et la représentation nationale se ressaisissent, que les partis voient plus loin que le bout de leurs intérêts catégoriels et que les mois qui viennent permettent d’avancer. Dans le cas contraire, le dégagisme trouvera encore matière à prospérer.