Le Parquet national antiterroristea abandonné lundi 16 décembre dans ses réquisitions la « complicité d’assassinat terroriste » à l’encontre des deux seuls accusés qui étaient poursuivis sous ce chef d’accusation, passible de la perpétuité, au procès de l’assassinat du professeur Samuel Paty. Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov, âgés respectivement de 22 et 23 ans, amis de l’assaillant, Abdoullakh Anzorov, un islamiste radical tchétchène de 18 ans, « se sont volontairement associés à son entreprise mortifère », a assuré l’avocate générale Marine Valentin devant la cour d’assises spéciale de Paris.
« Ils étaient pleinement conscients de ses convictions djihadistes et lui ont fourni les conditions matérielles de les mettre en œuvre », a insisté la magistrate, en expliquant que « cela caractérise pleinement l’association de malfaiteurs terroriste », un crime passible de trente ans de réclusion. Concernant l’accusation de complicité, elle a affirmé ne pas pouvoir se baser sur des « hypothèses », uniquement sur des « certitudes ». Au début des réquisitions, Nicolas Braconnay, l’autre représentant de l’accusation, avait prévenu que le réquisitoire du parquet ne correspondrait « sans doute pas totalement aux attentes » des parties civiles.
Accusés d’avoir aidé Anzorov à se procurer des armes et, concernant Boudaoud, de l’avoir conduit le 16 octobre 2020 aux abords du collège où Samuel Paty enseignait l’histoire-géographie, les deux jeunes gens ont affirmé à l’audience avoir tout ignoré des intentions meurtrières de leur ami et n’ont eu de cesse de proclamer leur innocence. « Par leur participation active et quasi permanente, [Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov] ont permis à Abdoullakh Anzorov d’assassiner Samuel Paty. Ils ont été le soutien logistique dont Anzorov avait besoin pour son passage à l’acte meurtrier », a assuré Marine Valentin.
Le Parquet national antiterroriste examinera au cours de l’après-midi le cas des six autres accusés, tous poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste, impliqués, à des degrés divers, dans l’engrenage mortifère qui a conduit à l’assassinat du professeur Samuel Paty à la sortie de son collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).
« Samuel Paty n’était pas un martyr. Il n’est pas mort en militant. Il n’est pas mort en hussard noir de la République, mais en victime innocente d’un crime radicalement abject et absurde », a insisté Nicolas Braconnay. « Samuel Paty n’est pas un symbole mais, à travers lui, c’est beaucoup de ce que nous sommes qui a été atteint », a-t-il ajouté dans une salle d’audience pleine à craquer.
Le prédicateur islamiste Abdelhakim Sefrioui, 65 ans, et Brahim Chnina, 52 ans, sont accusés d’avoir participé « à l’élaboration et la diffusion de vidéos présentant des informations fausses ou déformées destinées à susciter un sentiment de haine » à l’encontre de Samuel Paty. « Ce que j’ai fait est irréparable et impardonnable », a admis à l’audience Brahim Chnina, le père de la collégienne qui a menti en accusant faussement Samuel Paty d’avoir discriminé les élèves musulmans de sa classe à l’occasion d’un cours sur la liberté d’expression.
En réalité, la collégienne n’avait pas assisté au cours de Samuel Paty et le professeur n’avait discriminé aucun de ses élèves. « Ce cours était équilibré et pertinent, dénué de toute volonté de choquer », a rappelé Nicolas Braconnay dénonçant « les calomnies » qui ont accablé le professeur.
Vieux briscard du militantisme islamiste, fondateur de l’association (aujourd’hui dissoute) pro-Hamas Collectif Cheikh-Yassine, Abdelhakim Sefrioui a contesté en bloc les accusations portées contre lui. Si l’enquête a établi qu’Abdoullakh Anzorov avait pris connaissance de la polémique visant Samuel Paty à travers les messages et la vidéo publiés les 7 et 8 octobre 2020 par Brahim Chnina, rien ne démontre qu’il a vu la vidéo postée par Abdelhakim Sefrioui le 12 octobre.
« Si ma vidéo n’avait pas existé, ça n’aurait rien changé » au sort de Samuel Paty, a prétendu Abdelhakim Sefrioui à l’audience. Tournée devant l’entrée du collège où travaillait Samuel Paty, la vidéo du prédicateur évoque un « enseignant voyou » ayant commis un acte « abject ».
Si la cour ne retenait pas l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste contre ces deux accusés, elle aurait la possibilité de les reconnaître coupables d’association de malfaiteurs de droit commun ou de provocation au terrorisme, aggravée par l’utilisation d’un service de communication en ligne, un délit passible de sept ans de prison et 100 000 euros d’amende.
Les quatre autres accusés, Yusuf Cinar, Ismaël Gamaev, Louqmane Ingar, tous âgés de 22 ans, et Priscilla Mangel, 36 ans, la seule femme mise en cause, présentés par l’accusation comme membres de la « djihadosphère » qui gravitait autour d’Abdoullakh Anzorov sur les réseaux sociaux, ont tous nié, à l’exception du seul Ismaël Gamaev, être impliqués dans l’assassinat du professeur.