Elle s’est avancée lentement vers notre petit groupe, serrant dans ses bras une chemise de papier violet. En ce mois d’avril 2023, l’équipe du Monde in English participe à une conférence à Reid Hall, élégant hôtel particulier du quartier du Montparnasse qui appartient à l’université américaine Columbia, à l’occasion du premier anniversaire du lancement de l’édition du Monde en langue anglaise. Sauf que Lois Grjebine, 94 ans aujourd’hui, était venue nous dire que Le Monde en anglais existait déjà.
Grjebine, qui se déplace sans canne, le pas lesté par les ans, reprend son souffle. De sa chemise violette, elle sort le dernier numéro du Monde Weekly Selection, un journal de huit pages, daté du 29 juillet au 4 août 1971. Son précieux dossier renferme aussi des coupures de presse de 1969 : deux colonnes du magazine Time avec le surtitre « Inside France » (« En France ») et la photo d’une jeune femme, pull en laine et carré brun, tout sourire, assise devant un panneau où sont épinglés des articles de presse ; une page de l’édition française du magazine Vogue où une femme et quatre enfants sont photographiés en train de déjeuner gaiement ; un article publié en une du Plain Dealer – grand quotidien de Cleveland (Ohio), dans la région des Grands Lacs, aux Etats-Unis – titré « Clevelander to Edit English Le Monde » (« une Clevelandaise va diriger la version anglaise du Monde »).
« C’est moi, pointe Grjebine. J’étais la rédactrice en chef. » Deuxième découverte de cette soirée anniversaire. Non seulement Le Monde en anglais existait déjà, mais c’est une femme, mère de famille, originaire du Midwest, qui en était à la tête – trois qualificatifs pas communs au Monde à l’époque.