Dans sa longue carrière d’économiste au Fonds monétaire international (FMI), Ahsan Mansur dit n’avoir jamais vu un détournement de fonds d’une telle ampleur. Le nouveau gouverneur de la banque centrale du Bangladesh, nommé après la chute du régime Sheikh Hasina en août, estime qu’au moins 2 000 milliards de takas (16 milliards d’euros) ont été siphonnés pendant les quinze ans de règne de la première ministre, entre 2009 et 2024. « A une telle échelle, cela ne s’est produit nulle part ailleurs », a expliqué Ahsan Mansur au Financial Times, dans un article publié le 28 octobre. L’argent a été dérobé comme dans un braquage de banque, « un pistolet sur la tempe ».
A ceci près que les personnes visées n’étaient pas des guichetiers, mais les PDG des banques eux-mêmes, à qui l’on demandait de céder leurs parts ou de démissionner. Celui qui tenait le pistolet était un agent des services de renseignement de l’armée, sur ordre de la première ministre. C’est ce que Mohammad Abdul Mannan dit avoir vécu, dans ce même article du Financial Times.
Le 5 janvier 2017, le patron de la Islami Bank Bangladesh était sur le chemin de son bureau, où l’attendait un important conseil d’administration, lorsque le chef de la puissante agence de renseignements lui a demandé de venir en urgence. Emmené dans un endroit secret où il dit avoir subi un interrogatoire musclé, le patron a été contraint de signer sa lettre de démission sur un faux document à en-tête de la banque.
Des dirigeants d’autres établissements auraient été enlevés chez eux, puis séquestrés dans des chambres d’hôtel, où ils étaient contraints d’acter leur démission. Le gouverneur Ahsan Mansur accuse Mohammed Saiful Alam, le fondateur et dirigeant du puissant conglomérat S Alam, un proche de la première ministre Sheikh Hasina, d’avoir pris le contrôle de ces banques, ce qui lui permettait ensuite d’arroser de prêts ses entreprises. Il est accusé d’avoir détourné au moins 9,5 milliards d’euros – des accusations qu’il dément.