Nombre de journaux sont nés en 1944, dans les semaines qui ont suivi la Libération de Paris. Cette année-là, le 18 décembre (daté 19), Le Monde fut le dernier à paraître, produit de la volonté conjointe d’un journaliste, Hubert Beuve-Méry, de vouer un titre à l’indépendance éditoriale la plus complète, et de celle d’une époque, la fin de la guerre, de rebâtir la démocratie en restaurant au plus vite l’un de ses piliers : la liberté de la presse. Quatre-vingts ans plus tard, nous fêtons cet anniversaire avec l’immense fierté de constater que, parmi les survivants, le petit dernier est devenu le premier des quotidiens nationaux, avec un nombre total d’abonnés, très majoritairement numériques, qui approche les 650 000.
Ces chiffres inédits ne constituent pas seulement un socle solide pour un modèle économique désormais stable, étayé par la vigueur des titres de notre groupe, Télérama, Courrier international et La Vie. Pour chacune de nos publications, ils donnent forme à un cercle vertueux : nos lectrices et nos lecteurs nous choisissent pour notre liberté éditoriale et, en étant de plus en plus nombreux, ils confortent cette liberté.
Au cours des derniers mois, pour marquer ces quatre-vingts ans d’histoire, nous avons choisi de vous en raconter des chapitres et des thèmes variés. Sans chercher à dissimuler nos erreurs, et parfois nos illusions, nous avons voulu décrire le temps long des engagements de notre rédaction, l’enracinement de notre pratique professionnelle dans celle de nos prédécesseurs, tout autant que l’impératif de discerner les nouvelles questions portées par l’actualité, de s’adapter aux mouvements de la société.
En ces jours d’anniversaire, nous avons pris le parti de nous pencher sur le présent et le futur de notre rédaction, qui publie désormais sur numérique et sur papier, sur applications et réseaux sociaux, en live et en magazine, en podcasts et en hors-séries, en français et en anglais, des textes, images et sons. Ces évolutions ne nous ont pas changés, elles restent conformes à notre identité et fidèles à nos valeurs. Mais elles nous permettent de jouer notre rôle de point de repère bien au-delà du support historique du journal papier.
Le développement de la vidéo, qui permet de nouvelles formes de pédagogie et d’investigation, l’essor des formats verticaux, qui nous donnent la possibilité de nous adresser aux publics les plus jeunes, sur les réseaux sociaux, sans renier les fondements de notre journalisme, sont autant d’innovations qui ont permis de s’adapter à la révolution des usages. Tout au long de la décennie qui vient de s’écouler, Le Monde a ainsi créé en moyenne deux nouveaux événements, services, formats ou suppléments par an.
Cette vitalité s’est aussi traduite par l’exploration de nombre de nouveaux champs pour notre journalisme : la culture numérique, avec le service Pixels, les jeunesses au sens large avec « Campus », nos vies quotidiennes avec « L’Epoque », puis la rubrique Intimités, l’art de vivre, avec « Le Goût de M », la mise en scène visuelle des données avec les services Décodeurs, Infographie et Vidéo, entre autres exemples de créations des dernières années. Depuis quelques mois, nous nous sommes lancés dans l’exploration du monde de l’intelligence artificielle, en scellant notamment un accord précurseur avec l’une des entreprises du secteur, OpenAI.
Ce virage, comme les précédents, n’est pas sans comporter de risques. Pour les réduire, nous pouvons désormais compter sur le travail d’un comité d’éthique et de déontologie, une innovation essentielle depuis près de quinze ans, sans laquelle nous pourrions perdre le fil de notre avenir. Et celui d’une histoire qui doit rester conforme aux valeurs que notre fondateur entendait défendre en forgeant cette arme à la fois fragile et puissante : un journal indépendant. Nous en célébrons les 80 ans avec la conviction que ce long parcours doit autant à l’attachement viscéral de chacun des membres de notre maison à la liberté d’informer qu’au soutien fidèle, et de plus en plus large, de nos lectrices et de nos lecteurs.