Thomas Clerc, écrivain : « Le ventilateur de poche est nuisible et moche, à l’image du monde dans lequel nous sommes précipités »

L’objet le plus con… s’appelle le ventilateur électrique de poche. Je l’ai croisé pour la première fois de mon été il y a un mois, sur la ligne 12 du métro parisien, peu après la station Jules-Joffrin, en remontant vers le grand Nord. Chaleur oblige, impossible d’échapper à ce nouveau gadget, fruit de l’imagination post-humaine, qui se délecte à nous rafraîchir. Vous l’avez tous entendu souffler près de vous, cette petite chose ridicule 100 % plastique, pourvue d’un manche court légèrement phallique et d’une roue à aubes électrique qui promet des nuits encore plus chaudes.

Comme j’aime les contacts souterrains, qui deviennent rares, j’ai donc demandé à l’utilisatrice (car par un fait objectif, ce sont surtout des dames qui manient cet objet) de m’en éclairer l’usage. « Comment ça marche, avec des piles ? — Non, ça se recharge ! » me fut-il répondu sur le ton enthousiaste qu’auront toujours les partisans du modernisme et de nos dirigeants « parce qu’il faut bien vivre avec son temps ». Si ça se recharge et que c’est en plastique, ça doit donc être énergivore, polluant et coûteux ; mais que vaut la planète en face d’une microbouffée de satisfaction de quelques instants ? Maniable, coloré de teintes pastel, d’une durée de vie longue pour un déchet et d’un coût variant curieusement entre 30 centimes d’euros (2,45 yuans, il vient de Chine) et 40 euros, le ventilateur de poche possède toutes les qualités.

N’y avait-il pas, jadis, un objet beaucoup plus smart, qui s’appelait « éventail » ? Inventé à une époque où le réchauffement climatique n’existait pas, il n’a pas complètement disparu, il est juste concurrencé par le ventilateur moderne. Jouissant d’une très ancienne tradition, chinoise peut-être, universelle sans doute, l’éventail se faisait fort de lutter contre la chaleur par des moyens à la fois fonctionnels, simples et d’une élégance qu’allaient honorer peintres et poètes (je pense aux Cent phrases pour éventails, de Paul Claudel, éditions Koshiba, 1927 ; Gallimard « Poésie », 1996).

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