En 1975, Franco meurt. Une longue période de censure s’achève pour les milieux artistiques espagnols. D’autocensure également. Carlos Gimenez peut en témoigner, lui qui, alors jeune auteur de bande dessinée dans l’édition jeunesse, dut attendre cette année-là pour mener son grand projet : raconter les souvenirs de son enfance passée dans les orphelinats de l’Auxilio Social (l’assistance sociale), créé sous le Caudillo.
Sans titre au départ, sa série s’appellera rapidement Paracuellos, en référence à une ville des environs de Madrid, Paracuellos de Jarama, qui abritait l’un des foyers fréquentés par l’enfant, orphelin de père, après l’hospitalisation de sa mère, atteinte de la tuberculose. Un choc attend bientôt les aficionados d’historietas (« bandes dessinées » en espagnol), plus habitués à rire qu’à pleurer en feuilletant les illustrés de l’époque. Rarement une œuvre de bande dessinée aura tiré autant de larmes chez ses lecteurs.
Centré autour d’un gamin prénommé Pablito, Paracuellos relate, à hauteur d’enfant, la vie de ces internats pour garçons fondés par la Phalange espagnole. Sinistres endroits où, sous le couvert d’une instruction religieuse et militaire, tout n’est que brimades et châtiments, privations et humiliations. La faim et les maladies sont l’ordinaire d’un groupe de garçons faméliques aux visages tristes, placés sous l’autorité de gardes-chiourmes sans pitié. A leur tête : un religieux pervers, le père Rodriguez, inventeur de la « double baffe ». Afin de figurer la dimension carcérale des pensionnats, le dessinateur a opté pour un gaufrier très dense, jusqu’à 25 cases par page.