« La Maison vide », de Laurent Mauvignier : le feuilleton littéraire de Tiphaine Samoyault

Qu’il travaille sur les immenses territoires d’une réalité mondialisée, comme dans Autour du monde (Minuit, 2014), ou sur un milieu restreint et clos – le stade de Dans la foule (Minuit, 2006), le bourg rural de Loin d’eux (Minuit, 1999) –, Laurent Mauvignier dit concevoir chacun de ses romans comme une maison. « Et je n’ai pas réussi à écrire un seul livre qui sorte d’une maison, dit-il dans un des entretiens avec Pascaline David recueillis dans Quelque chose d’absent qui me tourmente, qui paraît simultanément avec La Maison vide. Même Continuer [Minuit, 2016] n’en sort pas. Vous pouvez enlever les murs, mais à la fin mère et fils sont face à face dans la montagne et vous êtes comme dans une maison. Tout le temps. » A ce titre, La Maison vide apparaît comme un métaroman puisque, tout en ayant sa structure et son histoire propres, il synthétise le programme de tous les livres précédents de l’auteur. Un roman est comme une maison vide qu’il faut remplir de personnages et de récits pour la faire vivre.

Déjà mise en scène dans d’autres de ses livres, la petite ville de La Bassée, équivalent fictionnel de Descartes, en Indre-et-Loire, où l’auteur a grandi, est ici le cadre d’un vaste roman générationnel où le narrateur autofictionnel cherche à comprendre ce qui le rattache au XIXe siècle, si loin et pourtant si proche, même lorsqu’on se croit passé à une autre époque. Des années 1880 aux années 1950, trois générations se succèdent dans la grande maison, des arrière-grands-parents au père du narrateur, et leurs histoires résonnent jusqu’à la quatrième, par des formes de survie silencieuses. La Grande Guerre, qui a littéralement vidé les maisons de leurs hommes, a laissé des traces profondes sur les êtres. En mettant les femmes en gros plan dans cette histoire française jusqu’à l’os, Laurent Mauvignier montre combien ce conflit a bouleversé les places, sans que les mentalités en prennent acte aussitôt. Les femmes restent matées dans leurs aspirations, elles peinent à se faire un nom et à agir sur leur vie, tout en renâclant désormais à se plier à l’ordre ancien. De ses dix doigts, Marie-Ernestine ne sait faire que du piano, qui occupe sa vie. Elle n’entend pas sa fille Marguerite pleurer. La guerre domine l’amour. Et celle de 1939-1945 a divisé la famille en deux camps opposés.

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