A quoi sert l’arrière-boutique d’une librairie ? A stocker, à fumer, et surtout à conspirer. Dont acte avec La Galerie des livres, rue Gay-Lussac, à Paris, dont la « charmante » arrière-salle abrita, le samedi puis le mardi, de novembre 1937 à juillet 1939, devant un public élu où pouvaient se côtoyer (encore pour quelque temps) Julien Benda (1867-1956), Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945) et Walter Benjamin (1892-1940), les séances du Collège de sociologie, ultime tentative groupusculaire d’avant-garde, impulsée par les « acéphales » Georges Bataille (1897-1962) et Roger Caillois (1913-1978), de penser, en sa totalité convulsive et sa sacralité tourbillonnaire, le monde social. On y « conférença » de tout, de Hegel et du rire, de Sade et des chevaliers teutoniques.
Le 8 janvier 1938, l’ethnologue Michel Leiris (1901-1990), déjà auteur de L’Afrique fantôme (1934), bientôt de L’Age d’homme (1939), plancha sur un sujet détonnant : « Le Sacré dans la vie quotidienne ». Le texte paraîtra en juillet de la même année dans La Nouvelle Revue française. Détonnant car Leiris, avec ce titre antithétique, déjoue et se joue des pièges d’un « Sacré » (avec une majuscule ironique, néanmoins) consacré, conforme et labellisé. D’attaque, il lui substitue « son Sacré », le petit capital subjectif et intime d’objets, d’expériences et de lieux qui génère chez lui l’angoisse soudaine du « Sacré », le « Rien ne va plus » né du franchissement d’un Rubicon intérieur. Le trésor est volontairement prosaïque et modeste : le haut-de-forme paternel et la chambre des parents, les W-C comme lieu de colloque, la zone en friche qui ceinture alors Paris et le champ de courses d’Auteuil, le prénom « Rébecca » et la surprise d’apprendre que « Moise » et « Moïse » sont la même personne. C’est par un tel trousseau d’objets et d’instants que le « Sacré » pousse enfin sa « corne » dans une vie concentrée à son émotivité essentielle. En quelques pages, le « big bang » de la fresque autobiographique de Michel Leiris.