Il y a dans Le Pays dont tu as marché la terre, premier roman de Daniel Bourrion, beaucoup de flou, d’ombres et de tremblements. Né en 1967 en Lorraine, dans un milieu paysan, l’auteur a été successivement pion, fromager, peintre en bâtiment, avant de devenir conservateur des bibliothèques à Angers. Il a déjà publié deux récits autobiographiques (Lieux et J’ai été Robert Smith, Publie.net, 2018 et 2021). Il signe ici un texte d’une grande beauté, porté par une langue sensible et sinueuse qui se glisse avec délicatesse dans les plis du temps.
Le sujet de cette courte histoire, à peine plus d’une centaine de pages, se résume d’un trait : la vie d’un homme, ami d’enfance du narrateur, retrouvé mort dans sa maison vétuste, étendu sur son lit, sous « une couverture râpeuse d’un gris malade ». Il n’avait pas encore 50 ans et vivait seul, coupé du monde, sans ami ni famille. « Ta planète bleue tenait dans quinze kilomètres de diamètre », écrit l’auteur dans ce texte qui oscille entre l’adresse épistolaire et la méditation poétique sur la mémoire. Plusieurs années après la mort de cet ami disparu, le narrateur cherche à raviver son souvenir en esquissant l’histoire de leur relation. On ne connaîtra pas le nom de cet « étrange étranger », ni celui du narrateur. Quant à l’endroit où se déroule ce récit de deuil et d’amitié, Bourrion reste tout aussi allusif. « Le pays n’est pas bien grand, on finit par avoir de presque tous son idée », écrit-il. C’est au lecteur de compléter ce que l’écrivain cherche à décrire, sans jamais nommer ce territoire tassé sur lui-même, abritant « une poignée de vies, et autant de maisons dont beaucoup délabrées ».