L’intense campagne d’explication entreprise par François Bayrou pour tenter de sauver son plan d’ajustement budgétaire de 44 milliards d’euros en 2026 ne trompe personne. Dès lundi 8 septembre, le pays va se retrouver plongé dans une nouvelle crise politique quinze mois après la désastreuse dissolution de juin 2024, neuf mois après la chute du gouvernement de Michel Barnier.
Une fois de plus, par orgueil et aveuglement, l’exécutif a pris le risque d’endosser la figure de l’incendiaire là où sa responsabilité était au contraire de tenter de stabiliser le jeu le plus longtemps possible. Parce qu’il ne voulait pas tomber comme son prédécesseur, le président du MoDem a misé sur un coup de poker en demandant un vote de confiance à l’Assemblée nationale, lundi, qui, selon toute probabilité, lui sera refusé. Il a perdu sur toute la ligne, au risque d’entraîner le pays dans un épisode particulièrement dangereux.
De la colère qui sourd dans le pays le Rassemblement national apparaît aujourd’hui comme le principal bénéficiaire. Ni les ennuis judiciaires de Marine Le Pen, ni la juvénilité de Jordan Bardella, ni les virages à 180 degrés du parti qui oscille entre radicalité et quête de respectabilité, ni sa versatilité et son amateurisme sur les questions budgétaires n’entament la dynamique. Le moteur est ailleurs : il suffit à ses dirigeants d’exploiter les faiblesses et les renoncements de ceux qui prétendaient le combattre pour prospérer.
Au chapitre des renoncements, l’évolution de la droite républicaine est symptomatique. L’abandon par Les Républicains du « ni ni » au profit du « tout sauf La France insoumise » ouvre la voie à de possibles accommodements en vue des élections municipales de mars 2026. Les propos de Nicolas Sarkozy dans Le Figaro du mercredi 2 septembre, misant sur une dissolution, adoubant le RN comme membre de l’arc républicain et l’installant comme prétendant crédible à Matignon, désinhibent la tentation du rapprochement, alors que sur toute une série de sujets, la sécurité, l’immigration, la contestation de l’Etat de droit, le travail est déjà accompli. Pour celui qui se vantait en 2007 d’avoir réduit le Front national et qui se trouve aujourd’hui cerné par les affaires, cette déclamation sonne comme une reddition peu glorieuse.
Dans les milieux patronaux, le barrage prend l’eau. L’offensive conduite par Vincent Bolloré n’en est pas l’unique signe. Dans les grands groupes comme chez les petits patrons, la tentation de l’extrême droite progresse au rythme du procès instruit contre l’Etat « obèse » ou la gauche « tout impôt ». Pour la première fois, Jordan Bardella a été invité lors de la rentrée du Medef. Quelques jours plus tard, le même a écrit aux patrons pour leur promettre des baisses massives d’impôts et des allégements de normes. Ces scènes étaient inimaginables il y a peu, lorsque Laurence Parisot, la présidente du mouvement patronal, publiait Un piège bleu Marine (Calmann-Lévy, 2011) pour mettre en garde ses troupes contre les dangers d’un parti nationaliste qui cherche par tous les moyens à défaire l’Union européenne.
Le plus inquiétant est que ces évolutions s’opèrent sans susciter d’émoi, comme si le RN était devenu un parti comme un autre. Le cœur de son projet reste pourtant la préférence nationale, un concept forgé à l’extrême droite qui est opposé à tous les principes de notre Constitution et qui est porteur de graves tensions. Au moment où les turbulences politiques vont reprendre, il est plus que temps de le rappeler.