Après un long silence consécutif au second tour des élections législatives qui s’est soldé par un échec pour le camp présidentiel, Emmanuel Macron a publié, mercredi 10 juillet, une lettre adressée aux Français. Le président de la République dit vouloir « laisser un peu de temps aux forces politiques » pour bâtir une « majorité solide ». « D’ici là, le gouvernement actuel continuera d’exercer ses responsabilités puis sera en charge des affaires courantes comme le veut la tradition républicaine », poursuit-il.
Le premier ministre, Gabriel Attal, avait présenté, lundi 8 juillet, sa démission après le second tour des législatives, comme le veut la tradition républicaine, mais Emmanuel Macron lui avait demandé de rester en poste « pour le moment », afin « d’assurer la stabilité du pays ». Selon une information de Politico, confirmée par Le Monde, le chef de l’Etat devrait finalement accepter la démission du gouvernement le 17 juillet, permettant aux ministres élus de siéger à l’Assemblée à temps pour le début de la législature le lendemain.
Une fois cette démission acceptée, le pays se retrouverait sans véritable gouvernement, mais les ministres resteraient à leur poste dans l’attente de la nomination d’un nouveau premier ministre, le temps de gérer les « affaires courantes ». Comment sont encadrés ces pouvoirs particuliers, combien de temps cela peut-il durer ? Nous avons interrogé plusieurs constitutionnalistes pour tenter d’y voir plus clair.
Un gouvernement chargé de gérer les affaires courantes est un gouvernement dont les ministres restent temporairement en fonction pour assurer la continuité de l’Etat, de ses services, et donc du fonctionnement essentiel et quotidien des administrations placées sous leur responsabilité. « Un ministre démissionnaire n’est plus vraiment ministre mais fait office de ministre, il ne peut pas faire n’importe quoi, il y a des limites à son pouvoir », précise Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas.
Aucun texte juridique ne cadre spécifiquement ce qu’un gouvernement démissionnaire peut ou ne peut pas faire. Il s’agit en réalité d’un principe traditionnel de droit public remontant à la IIIe République, et qui s’est affirmé par la pratique. Les épisodes sont toutefois peu nombreux, et de fait, la jurisprudence sur cette question reste mince.
Un gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes a un pouvoir bien plus limité qu’un gouvernement de plein exercice. Il ne peut, en principe, pas prendre de mesures de nature politique. « Il ne lui est pas permis de prendre des actes qui effectuent une modification durable d’un organe ou d’un service public ou encore d’un statut juridique », explique Elysée Hator, doctorant en droit public à l’université Paris-Saclay dans un article paru en 2023 et consacré à cette question. De fait, un tel gouvernement ne peut pas, par exemple, modifier durablement un service public, créer de nouveaux droits et devoirs pour la population ou prendre des mesures qui ne seraient pas déjà prévues par les lois existantes et promulguées.
Mais du fait du peu d’exemples dans l’histoire de la République française, il n’est pas toujours facile d’anticiper les mesures que peut prendre légalement un tel gouvernement. « La frontière est difficile à établir parce que cela relève de l’appréciation du Conseil d’Etat », nuance le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Le Conseil d’Etat a le pouvoir de contester un décret s’il juge que la mesure dépasse simplement l’objectif de maintenir la continuité des services publics.
Les affaires courantes n’empêchent pas systématiquement un gouvernement de prendre des décrets, des circulaires et des arrêtés pour mettre en application des lois déjà votées, explique Dominique Rousseau. « Pour préparer la prochaine rentrée scolaire, le ministre de l’éducation nationale pourrait, par exemple, prendre une circulaire pour organiser les groupes de niveau », poursuit le juriste. « Dès lors que les lois ont déjà été votées, le gouvernement serait également en droit de publier les décrets d’application » qui y sont liés, relève-t-il encore. Les mesures administratives autorisées peuvent comprendre par exemple « la distribution des courriers, l’organisation des examens et des concours de la fonction publique, le versement des salaires et des pensions de retraite », explique Elysée Hator dans ce même article de la Revue française de droit constitutionnel.
Les pouvoirs d’un gouvernement démissionnaire, en revanche, ne sont pas limités quand les mesures prises revêtent un caractère urgent. « S’il y avait un attentat, il n’y a aucun obstacle juridique, un gouvernement chargé des affaires courantes pourrait prendre les décisions qui s’imposent », illustre Julien Boudon, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay. Le gouvernement pourrait également décréter l’état d’urgence si nécessaire, même si pour cela il doit réunir un conseil des ministres. « Par convention, on ne réunit pas le conseil des ministres quand le gouvernement est démissionnaire, mais ce n’est pas une contrainte juridique », explique Benjamin Morel.
S’il est clair pour de nombreux observateurs qu’un gouvernement ayant démissionné ne peut plus gérer que les affaires courantes, des divergences apparaissent quant au moment où cette démission est juridiquement effective, et donc que ses compétences ne deviennent plus que administratives.
Pour Dominique Rousseau, le gouvernement Attal actuel est encore un gouvernement « de plein exercice », et qui garde donc toutes ses prérogatives puisque le président de la République n’a pas accepté sa démission. Selon cette lecture des événements, le gouvernement aura effectivement démissionné lorsque Emmanuel Macron prendra un décret présidentiel pour acter cette démission et mettre fin aux fonctions de Gabriel Attal et de son équipe. Ce décret entrera en vigueur le lendemain de sa signature, lors de sa publication au Journal officiel. Une lecture que soutient aussi le secrétariat général du gouvernement dans une note adressée récemment aux directeurs de cabinet et qu’a révélée le site Politico Europe.
Certains, comme Julien Boudon et Benjamin Morel, soutiennent une autre lecture juridique, selon laquelle un gouvernement est considéré comme démissionnaire à partir du moment où le premier ministre remet sa lettre de démission au président de la République. Ce raisonnement est soutenu par une jurisprudence établie par le Conseil d’Etat le 22 avril 1966, qui était alors revenue sur une situation similaire datant de 1962. Le 5 octobre de cette année-là, le gouvernement de Georges Pompidou est renversé par une motion de censure, ce qui pousse le même jour son chef à rendre sa lettre de démission à Charles de Gaulle, qui la refuse. Ce n’est que le 28 novembre 1962 que le président accepte et signe le décret par lequel il met fin aux fonctions de son premier ministre.
Amenés des années plus tard à se prononcer sur un décret pris entre les deux événements, les magistrats avaient cependant estimé que le gouvernement était démissionnaire dès le 5 octobre 1962, jour de la lettre de démission de Georges Pompidou, et n’était donc plus chargé que des affaires courantes.
La compétence de nommer le premier ministre revient au seul chef de l’Etat, telle que définie dans l’article 8 de la Constitution. Il n’a aucune obligation légale de choisir une personnalité issue du groupe le plus important à l’Assemblée nationale et aucun délai ne lui est imposé par les textes.
Si le président devrait accepter la démission du gouvernement Attal le 17 juillet, nul ne sait quand Emmanuel Macron nommera un nouveau premier ministre. Il a déjà prévenu vouloir « laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir [des] compromis avec sérénité et respect de chacun ». Pour Benjamin Morel, « cela pose un vrai problème démocratique » puisqu’un gouvernement chargé des affaires courantes ne peut pas être renversé par l’Assemblée nationale, sa démission étant déjà actée. « On entre dans une forme d’incertitude politique, parce qu’en général, un tel gouvernement est fait pour durer quelques jours, quelques semaines au maximum », insiste-t-il. Reste à savoir si le président de la République prendra le risque de faire durer une telle situation, alors que la pression politique sera forte et que les Français, qui se sont massivement exprimés lors des élections législatives, pourraient s’impatienter.