La crise du luxe n’a pas épargné les marques italiennes qui, pour la plupart, subissent un fort ralentissement de leur activité depuis le début de l’année. Comment relancer les ventes ? En changeant de designer, pardi ! Telle est la solution adoptée par une demi-douzaine de maisons, et pas des moindres, qui ont annoncé le nom de leur nouveau poulain au printemps. Le résultat de ce grand chamboulement s’observe à la fashion week féminine printemps-été 2026 de Milan, qui se tient du 23 au 29 septembre.

L’événement le plus important concerne Gucci. Parce qu’il s’agit de la plus grosse marque de luxe italienne, parce que sa dégringolade a été vertigineuse (son chiffre d’affaires, qui atteignait plus de 10,5 milliards d’euros en 2022, s’est réduit à 7,65 milliards d’euros en 2024), et parce que le choix de Demna comme designer rédempteur a fait polémique : après l’annonce de sa nomination, en mars, l’action du groupe Kering, propriétaire de Gucci, a chuté de plus de 12 %.

On pouvait donc s’attendre à ce que la marque florentine mette les bouchées doubles pour mettre en scène les débuts de Demna. Le créateur géorgien, qui n’a officiellement quitté qu’en juillet son poste de directeur artistique chez Balenciaga (également détenu par Kering), n’a pu mettre son équipe de créatifs en place chez Gucci qu’en septembre. Et, pressé par le temps – car, au vu de l’urgence économique, il n’était pas question d’attendre encore six mois pour présenter une nouvelle mouture de Gucci ?, il a préféré un format moins engageant que le défilé. Sa « vraie » première collection sera pour février 2026, a prévenu Demna.

Lundi 22 septembre, la maison florentine a dévoilé sur Internet un premier aperçu de ce travail avec une série de photographies présentant les personnages d’une famille italienne. Parmi eux, « la bombe », perchée sur des escarpins pointus, ne porte qu’un riquiqui manteau de (fausse) fourrure tigrée ; « la comtesse » arbore une longue robe fleurie à manches gigot ; « le fils à maman » se planque dans un jean baggy et un manteau mou et large à carreaux, tandis que « le bâtard » se contente d’un slip blanc moulant pour couvrir sa sculpturale musculature.

Ces 38 archétypes stylistiques recyclent les principaux codes de Gucci, qu’il s’agisse du monogramme double G recouvrant les sacs ou des blouses en soie, de l’imprimé Flora décliné en broderie de sequins sur des robes à traîne, du mors ornant les mocassins et les poches avant d’un jean, ou de la bande Web rouge et vert traversant des petits pulls en maille marine. Les différentes époques de la maison sont évoquées, de la sexualité conquérante de Tom Ford au romantisme baroque d’Alessandro Michele, avec, au milieu, un peu du Balenciaga de Demna (l’amour du streetwear, le sens de l’humour). La collection est complète, faite de pièces basiques pour le jour et de tenues pour les grands soirs.

Pour être présent à la fashion week de Milan et créer une émulation autour de cette première collection un peu fade, si l’on se contente de regarder les photos, Gucci a imaginé une soirée à la hauteur de sa réputation. Mardi 23 septembre, la marque a transformé en cinéma le Palazzo Mezzanotte, la Bourse de Milan. Environ 400 sièges ont été installés face à un écran géant, au milieu d’un écrin de bois exotique créé de toutes pièces, pour permettre aux invités de visionner The Tiger (« le tigre »), un court-métrage réalisé pour l’occasion par Spike Jonze et Halina Reijn.

Ce visionnage a pris une forme inédite, quelque part entre le Festival de Cannes et le défilé de mode. Devant le palazzo, une foule compacte appâtée par l’ampleur du dispositif. A l’intérieur, des célébrités, parmi lesquelles les acteurs du film ? Demi Moore, Edward Norton, Elliot Page, etc. ?, mais aussi les plus hautes instances de Kering et une vingtaine de mannequins arborant les looks de la collection. Sur l’écran, un vrai film de trente minutes avec une ambition cinématographique, qui change des nombreux clips paresseux que les marques de luxe commandent à des réalisateurs de renom pour faire la promotion de leurs produits.

Spike Jonze et Halina Reijn ont reçu pour seule consigne de se servir de la collection de Demna. Les vêtements Gucci sont évidemment présents dans The Tiger, mais la narration ? une famille dysfonctionnelle réunie pour un anniversaire ? l’emporte sur l’esthétique. Le film, bien troussé et visionnable gratuitement sur Internet, devrait trouver son public et séduire au-delà du cercle de la mode. Mais les spectateurs qui apprécieront Demi Moore au bord de la crise de nerfs seront-ils sensibles à la subtilité de sa garde-robe ? Et quand bien même ils auraient à l’esprit le lien entre The Tiger et Gucci, les tenues grand soir de Demna leur donneront-elles envie d’acquérir une ceinture ou un sac à main ? Difficile d’en juger à ce stade. Gucci prend le risque.

Pour rebondir, la marque florentine devra rapidement approvisionner en nouveautés ses boutiques, qui, en transition entre deux designers, semblent toujours manquer de produits. Mais Gucci commence timidement : la collection n’est disponible que pendant les deux semaines suivant la diffusion du film et seulement dans une sélection de 10 magasins à travers le monde (dont ceux de Paris et de Milan). S’agit-il d’une stratégie de la rareté ou d’un défaut d’efficacité dans la chaîne de production ? Sans doute un peu des deux. Changer de designer ne saurait résoudre tous les problèmes du luxe.

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