« Remember Fessenheim », de David Dufresne : le feuilleton littéraire de Tiphaine Samoyault

Le 3 mai 1974, une bombe explose sur le site de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) en construction. Cela fait déjà plusieurs années que les militants antinucléaires manifestent autour du chantier. L’attentat est revendiqué par le commando Puig Antich-Ulrike Meinhof – en référence à l’activiste catalan exécuté deux mois plus tôt en Espagne et à la militante de la Fraction armée rouge incarcérée en Allemagne. Il ne fait aucune victime, mais provoque un retard des travaux de plusieurs mois. C’est le point de départ de Remember Fessenheim, de David Dufresne. Il sait depuis un moment que sa grand-mère, Françoise d’Eaubonne, a participé à l’action. Mais il se demande comment le secret a été gardé pendant si longtemps. Il fouille dans les archives des Renseignements généraux et dans celles de la gendarmerie locale. Il passe des heures à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), dans les fonds déposés par la famille à la mort de Françoise d’Eaubonne, en 2005. Dans ses Mémoires, elle écrit : « 3 mai 1974. Sommet de ma vie », mais elle n’en dit pas plus.

A 57 ans, David Dufresne fait sauter un autre secret en devenant publiquement son petit-fils. Documentariste, journaliste, écrivain, connu pour sa dénonciation des dérives violentes de la police et pour son militantisme de gauche, il n’avait jamais mis en avant l’autorité dans ce domaine de sa grand-mère – un jour illustre, naguère oubliée, de nouveau illustre à la faveur de certains changements de société qu’elle avait sentis et nommés. On lui doit, c’est toujours mis en avant quand il est question d’elle, les concepts de « phallocratie » et d’« écoféminisme ». En 2021, une première biographie (L’Amazone verte, d’Elise Thiébaut, Charleston, 2021), « romancée et de troisième main », met David Dufresne en colère : l’autrice y révélait sa filiation sans même l’avoir contacté. Il décide d’enquêter, d’écrire non pas sur sa grand-mère, mais « avec elle », dans un livre qui cherche moins à retracer sa vie dans tous ses détails qu’à tenter de cerner, dans une recherche de sources digne du travail qu’il avait accompli sur Tarnac (Tarnac, magasin général, Calmann-Lévy, 2012), les contours d’un excès qui voulait tout renverser.

Recomendar A Un Amigo
  • gplus
  • pinterest
Commentarios
No hay comentarios por el momento

Tu comentario