Une flaque croupit dans le couloir du bâtiment universitaire d’Antananarivo ouvert il y a seulement deux ans. La saison des pluies n’a pourtant pas encore commencé à Madagascar. « Venez voir nos dortoirs », invite un étudiant rencontré lors des récentes manifestations. Une évacuation d’eaux grises à ciel ouvert stagne à 2 mètres de sa porte-fenêtre arrière. Des déchets y flottent. « Pendant la saison des pluies, on aura des eaux usées jusqu’ici », assure Ulric Sambizafy, 24 ans, en montrant la moitié de son mollet.
« C’est ça qui justifie notre révolte », lâche l’étudiant en deuxième année de master en énergies renouvelables. Originaire de l’est de l’île, Ulric Sambizafy est de cette jeunesse malgache éduquée s’étant retrouvée dans le mouvement Gen Z. Dans le bâtiment ouvert en 2023, les fissures et infiltrations d’eau témoignent de malfaçons. La chasse d’eau des toilettes communes ne fonctionnant pas, les étudiants remplissent des seaux d’eau dans la cour. Et une bonne partie des douches étant hors service, ils s’en partagent une pour huit étudiants.
Les interpellations du pouvoir dans les médias locaux n’y ont rien changé. « On ignore les jeunes Malgaches, étant donné que les enfants des dirigeants de ce pays n’étudient pas à l’université d’Antananarivo mais à Bordeaux, au MIT, à Harvard et tout ça », accuse Ulric Sambizafy.
Aussi, à la promesse du président Andry Rajoelina, mardi, qu’il « regardera de près les jeunes, surtout les étudiants universitaires et leur habitat », avec son nouveau premier ministre et qu’il va « construire une cité universitaire qui corresponde à chaque étudiant », Ulric Sambizafy préférerait qu’il rénove les bâtiments existants. « Il y a un proverbe malgache qui dit : “Vous n’avez pas terminé ce qui est dans votre assiette, mais vous réclamez déjà ce qui est encore dans la marmite” », ironise l’étudiant avant de baisser le feu de son réchaud, la casserole de riz qu’il prépare pour lui et son colocataire s’apprêtant à déborder.
Ils ne sont pas les plus mal lotis parmi les habitants des logements universitaires d’Ankatso, foyer de la contestation de 1972 ayant abouti au départ du premier président de la République. L’immeuble jaune voisin de quatre niveaux, supposé héberger 400 étudiants mais en accueillant bien plus, est dans un pire état. Il date d’une dizaine d’années et aucun des anciens ne se souvient avoir vu les prises et les robinets de la cuisine collective fonctionner. « Ça sert de garage à scooters », observe Iandoharilala Rakotondrina, 30 ans, en désignant une paire de deux-roues stationnés là, au premier étage.
Dans les salles de bains et la buanderie du troisième, seul un filet d’eau sort des robinets, par manque de pression. Malgré l’organisation des étudiants, qui indiquent chaque semaine sur une feuille collée au mur quel dortoir doit nettoyer chaque pièce, certaines toilettes sont dans un état de crasse irrattrapable. L’absence d’entretien professionnel, cumulé aux coupures d’eau, leur a infligé le coup de grâce. « On vit littéralement dans la merde », assène Iandoharilala Rakotondrina, doctorant à l’Ecole polytechnique voisine, en présentant les toilettes les plus souillées du bâtiment, imprégnées d’un puissant relent d’urine.
Faute d’offre suffisante de logements gratuits pour les étudiants originaires du reste du pays, ils sont par exemple six à s’entasser dans le dortoir d’Ezéchiel Ledy, prévu pour quatre. Il est habituel, dans ce bâtiment baptisé « R + 3 », de partager un lit ou d’ajouter des matelas au sol, même si les dortoirs ne mesurent que 18 mètres carrés. La débrouille est la règle pour réparer un tableau électrique ayant pris feu ou pour sécher le linge grâce à des fils tendus dans la cage d’escalier.
Un autre étudiant propose même ses services de coiffeur à des clients accroupis sur un demi-tabouret face à un bout de glace. Le prix est imbattable : 2 000 ariarys la coupe (moins de 0,40 euro), pour un peu plus du double à l’extérieur. « Les jeunes Malgaches savent très bien s’adapter à toutes conditions », constate Ezéchiel Ledy, 26 ans, en deuxième année de master à l’Ecole normale supérieure : « C’est peut-être pour ça que les dirigeants se disent que ce n’est pas la peine de les aider. »