C’est inéluctable, et c’est pour bientôt. On ne saurait dire quand exactement, mais l’affaire est assurée, déjà à portée de main. Dans quelque temps, des machines vont sentir, éprouver, décider en première personne. Voilà ce que répètent quantité de discours réputés experts. Nombre de neuroscientifiques et d’informaticiens ressassent la même antienne : très vite, la conscience ne sera plus une exception humaine ou une singularité des vivants. Aucun obstacle insurmontable ne s’opposerait à la fabrication d’une conscience artificielle. Seuls quelques détails techniques resteraient à régler. Encore un effort, et nous y serons !
Et si rien n’était si simple ? C’est la question posée, avec cohérence et clarté, par le philosophe Michel Bitbol, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de la physique contemporaine et de la mécanique quantique, auteur d’une dizaine d’ouvrages d’épistémologie et de philosophie de l’esprit. Son interrogation principale ne porte pas sur les modalités pratiques de réalisation d’une conscience artificielle, mais bien sur le principe même de sa faisabilité. Tous les discours qui tiennent pour acquis son avènement prochain présupposent que nous savons ce qu’est la conscience – en quoi elle consiste, ce qui la fait exister. Or rien n’est moins sûr.
Nourri par la phénoménologie, mais aussi par ses lectures des logiciens bouddhistes, l’auteur rappelle à juste titre – dans le sillage notamment de Husserl et de Merleau-Ponty – combien la conscience n’est pas « une propriété parmi d’autres » de la réalité. Elle est au contraire ce qui précède et rend possible toute perception et tout vécu. « Expérience pure » – donnée avant même la distinction entre sujet et objet, avant tout contenu et toute signification –, la conscience est première, et non pas seconde et dérivée.