Des juges de la Cour suprême ont mis en doute, mercredi 5 novembre, la légalité des droits de douane mis en place par le président Donald Trump, ce qui est susceptible d’ébranler un pilier de sa politique économique et diplomatique. L’audience, qui a duré près de trois heures, s’est tenue tout juste un an après l’élection qui a permis au républicain de retrouver la Maison Blanche, d’où il a lancé une offensive protectionniste sans précédent, à coups de droits de douane.
Ces taxes sur les produits importés génèrent des milliards de dollars de recettes et ont permis d’arracher aux partenaires des Etats-Unis des promesses d’investissements et des conditions plus favorables pour les exportateurs américains. Le gouvernement ne veut surtout pas voir cet édifice s’effondrer et presse les neuf juges de la Cour suprême ? six conservateurs et trois progressistes ? de les maintenir. La décision de la Cour pourrait être rendue assez rapidement, comme dans plusieurs mois.
Le gouvernement met tout son poids dans la bataille pour le maintien de ces droits de douane, dont Donald Trump a affirmé mardi qu’ils étaient une « question DE VIE OU DE MORT pour notre pays ». Le ministre des finances, Scott Bessent, était présent à l’audience, a constaté un journaliste de l’Agence France-Presse.
Au nom de l’exécutif, le conseiller juridique John Sauer a déroulé ses arguments à toute allure. Il a notamment soutenu qu’annuler les droits de douane « nous exposerait à des représailles commerciales impitoyables » de la part des autres pays.
Plusieurs juges ont fait part de leur scepticisme, notamment quant à l’utilisation de la loi d’urgence économique IEEPA de 1977, invoquée par le président républicain pour décréter de sa seule autorité plusieurs salves de droits de douane, au motif que le déficit commercial américain, pourtant chronique depuis des décennies, représenterait une « urgence nationale ». Il s’était ainsi arrogé le pouvoir de les augmenter ou de les réduire à son gré.
Mais cette loi ne mentionne pas le pouvoir d’imposer des droits de douane, seulement celui de « réguler les importations et exportations ». « La taxation relève du pouvoir législatif (…), les droits de douane sont des taxes », a ainsi déclaré la juge progressiste Sonia Sotomayor.
Le texte IEEPA « est utilisé pour imposer des droits de douane quel que soit le produit, le pays d’origine, en choisissant le montant et la durée », a glissé le juge conservateur John Roberts, constatant que cela semblait conférer une « autorité majeure » au président.
Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier, le chef de l’Etat a fait des droits de douane un levier majeur de sa politique économique et diplomatique. Il se targue de pouvoir, par ce moyen de pression, non seulement réindustrialiser le pays et réduire son déficit commercial chronique, mais aussi ? en imposant des taxes au Mexique, au Canada et à la Chine ? juguler la crise du fentanyl, un puissant opiacé qui tue par overdose des dizaines de milliers d’Américains chaque année.
Avant que le dossier n’arrive entre les mains de la Cour suprême, plusieurs juridictions fédérales ont déclaré illégaux ces droits de douane ? distincts de ceux frappant des secteurs précis, comme l’automobile ou l’acier. Ceux-ci sont néanmoins restés en vigueur en attendant que la plus haute juridiction du pays tranche.
Des entrepreneurs de taille modeste et des Etats démocrates ont porté le dossier devant la justice, estimant que le président ne pouvait pas empiéter ainsi sur les prérogatives du Congrès pour imposer des taxes qui affectent la vie des entreprises comme des consommateurs américains.
« C’est le Congrès, pas le président, qui décide de taxer ou non, et de combien, les Américains qui importent des biens », pointent de leur côté les douze Etats démocrates impliqués, exhortant la Cour à ne pas le laisser « s’arroger ce pouvoir ». « Taxer les tomates ne “règle” pas la crise du fentanyl. »
« Ils imposent des droits de douane au monde entier en temps de paix. Et ils le font en s’octroyant un pouvoir qu’aucun président n’a jamais eu de toute notre histoire », a lancé l’avocat des entreprises, Neal Katyal. Il s’est notamment étonné que les produits suisses se voient appliquer une surtaxe de 39 %.
Le juge Samuel Alito, nommé par un président républicain, s’est interrogé : « Pourquoi le Congrès » permettrait au président des Etats-Unis « d’imposer un quota, une interdiction mais pas un droit de douane ? ».
La Cour doit par ailleurs statuer sur d’autres questions portant sur l’étendue des pouvoirs présidentiels, notamment en matière de révocation des responsables d’organismes indépendants, en particulier à la réserve fédérale (Fed, banque centrale).