Sur la piste bétonnée, le claquement sec de la planche signale la figure réussie. Sans un regard pour les garçons affalés sur les sièges d’une tribune plantée à même la terre, Dania Al-Moussawi, 24 ans, remonte sur son skateboard, s’élance d’un coup de pied nonchalant et glisse vers la rampe où l’attendent trois petites filles harnachées de protège-tibias. Tout autour, un champ de roseaux dresse sa muraille verte et humide, étouffant le vacarme des klaxons échappé des artères encombrées de Bagdad.
Au loin, les bulbes turquoise du Monument aux martyrs, impressionnant vestige de la guerre contre l’Iran menée par la dictature baasiste dans la décennie 1980, scintillent dans la lumière dorée du crépuscule. Quelques soldats à l’épaule lestée d’une kalachnikov, postés le long des murs de fortification, surveillent d’un œil morne les agitations à l’entrée du skatepark. « Pour moi, cet endroit, c’est une Irak miniature, lance Dania Al-Moussawi. On y voit plus d’hommes que de femmes, mais nous, on est là et on compte bien revendiquer notre place ! »
Voilà près d’un an que Dania Al-Moussawi et ses amies arpentent les rues de la capitale irakienne juchées sur des skateboards. Rassemblées sous la bannière des Bagdad Skate Girls, elles défient les habitudes et les regards des passants. Six ans après le mouvement de protestation de Tichrine, qui a coûté la vie à près de 600 manifestants mobilisés contre la corruption des élites et a découragé une génération entière de battre le pavé, ce groupe de filles incarne une forme discrète de reconquête de l’espace public.