En s’appuyant sur plus d’une centaine de témoignages, Amnesty International met en cause les autorités tunisiennes pour l’accueil et le traitement réservés aux migrants, dans un rapport publié jeudi 6 novembre, évoquant des viols et des tortures subis par ces personnes. L’ONG pointe également la responsabilité de l’Union européenne (UE) en raison de son accord migratoire avec Tunis.
« Le système d’immigration et d’asile de la Tunisie repose désormais sur des méthodes de maintien de l’ordre racistes, des violations des droits humains généralisées et un mépris global pour les vies, la sécurité et la dignité des personnes réfugiées ou migrantes, surtout celles qui sont noires », affirme Amnesty dans ce rapport titré « Personne ne vous entend quand vous criez ».
Le texte se fonde sur une enquête menée de février 2023 à juin 2025, selon l’organisation qui dit s’être entretenue avec 120 personnes réfugiées ou migrantes venant de près de vingt pays, notamment de Guinée et du Soudan. L’ONG fait état de « témoignages glaçants de violences sexuelles déshumanisantes, de passages à tabac et d’autres actes de torture et traitements cruels qui leur ont été infligés par la garde nationale tunisienne ».
Plus précisément, Amnesty évoque un « tournant » en 2023 dans la politique migratoire tunisienne, après des « appels publics à la haine ». En février 2023, le président Kaïs Saïed avait dénoncé dans un discours l’arrivée « de hordes de migrants subsahariens » menaçant, selon lui, de « changer la composition démographique » du pays.
Cette semaine, le ministre des affaires étrangères tunisien, Mohamed Ali Nafti, cité par plusieurs médias, a affirmé que tous les migrants entrés illégalement sur le territoire tunisien seraient rapatriés « dans le respect de la dignité humaine ».
Amnesty dit notamment s’être entretenue avec 20 migrants « noirs ayant été attaqués par des foules en février et mars 2023 ». L’ONG affirme également que d’après son enquête, les gardes-côtes de la garde nationale « se comportaient fréquemment d’une manière dangereuse (…) qui mettait des vies en danger, voire causait des morts ».
Une Camerounaise citée dans le rapport raconte qu’« ils n’arrêtaient pas de frapper notre bateau avec des bâtons longs pointus, ils l’ont percé (…). Il y avait au moins deux femmes et trois bébés sans gilets de sauvetage. On les a vus se noyer… ».
Amnesty rapporte en outre que 14 personnes réfugiées ou migrantes lui ont confié « avoir été violées ou témoins de viols, ou avoir vécu d’autres formes d’agressions ou de harcèlement sexuels par les forces de sécurité tunisiennes ».
L’organisation critique l’UE pour avoir signé un protocole d’accord sur l’immigration irrégulière avec la Tunisie en juillet 2023. « Dans un effort cynique de retenir les personnes réfugiées ou migrantes là où leurs vies et leurs droits sont en danger, l’UE a réaffirmé son engagement en faveur de ce protocole d’accord dangereux », fustige l’ONG.
En raison de cette coopération « sans garanties efficaces en matière de droits humains », l’Union européenne « risque de se rendre complice de violations graves et de retenir davantage de personnes dans une situation mettant leur vie et leurs droits en danger », estime Amnesty qui précise n’avoir reçu aucune réponse de la Tunisie ou de l’UE après avoir transmis aux autorités ses conclusions.